VOULONS-NOUS VRAIMENT CONSERVER LA DÉMOCRATIE ?
Dans certaines traditions africaines avant de désigner le chef du village, celui qui était pré-choisi subissait tous les affronts possibles de la population. Il pouvait être conspué, insulté voire battu. Puis une fois élu le chef ou le roi était totalement respecté.

On sait que dans la Rome antique chaque année au moment des lupercales l’ordre social était inversé. Chacun faisait ce qu’il voulait. Jean Baudrillard avait écrit que dans notre type de société on essaye tous les jours de la détruire comme pour voir si elle est encore capable de tenir.

Avec Nicolas Sarkozy, puis François Hollande et désormais Emmanuel Macron on tombe dans le bashing présidentiel récurrent et inquiétant.

Voilà avec la dernière affaire en date d’un chargé de mission à l’Elysée un déluge médiatique accablant le Président ; puis on mesure ensuite le niveau de sa popularité. De fait on mesure l’efficacité du bashing…

Ce n’est pas sans rappeler ce qu’écrivait Luc Ferry « Les démocraties (…) favorisent quatre sentiments puissants qui irradient dans tout le peuple : la colère, la jalousie, la peur et finalement (…) l’indignation. Parce que ces passions sont les plus faciles et les plus universelles, parce qu’elles animent la « France d’en bas » comme celle « d‘en haut », elles sont le premier et principal carburant de l’audimat. »

Les Médias dont on n’ignore en rien le modèle et à propos desquels toute opposition du moment, quel que soit le pouvoir en place, déclare qu’ils sont à la solde de ce dernier, voire dans le cas d’espèce qu’ils servent la cause de la mondialisation libérale, se constituent comme des contributeurs objectifs et décisifs à la démolition du Prince. Ce que souligne l’avocat et essayiste Daniel Soulez Larivière qui considère que le retentissement de cette affaire est disproportionné au regard de la faute originelle. Et de rappeler qu’Edgar Pisani, l’ancien ministre du Général de Gaulle s’interrogeait : « La démocratie ne va-t-elle être qu’une parenthèse dans l’Histoire ? ».

Et en effet, ensuite, à rythme accru, après un nouveau quinquennat, un nouveau Prince qui subira le même traitement ?

Que l’on ne se méprenne pas : les Médias sont des piliers indispensables de la démocratie et aucun pouvoir ne saurait être indemne de critiques surtout quand des erreurs graves d’appréciation ou des fautes inadmissibles et inquiétants sont commises. Mais une volonté cynique de destruction systématique de la légitimité de l’élu du suffrage universel est un risque réel pour les libertés publiques (y compris la liberté de la presse) et l’équilibre de notre société.

S’il y a des critiques à faire faisons les avec la détermination, l’éloquence et la hauteur de vue des parlementaires de la troisième République dont on semble pourtant regretter le régime au détriment de notre Cinquième qui nous a pourtant apporté la stabilité.

Au lieu de fonctionner sur le “mode scandale” qui est en fin de compte celui de l’impuissance, ceux qui veulent informer ou aider l’opinion publique à se forger un jugement devraient choisir avec plus de discernement et approfondir davantage les sujets majeurs d’une société complexe.

Majeurs, en effet, comme je l’écris dans mon dernier livre, les situations que les États, les gouvernants et les entreprises sans oublier les citoyens affrontent aujourd’hui sont de plus en plus difficiles. Les solutions sont hors de portée des simplismes ou des idées extrêmes que nous laissons s’installer par facilité ou pour nous rassurer. Elles demandent, pour être inventées, du calme, du sang froid, du courage et de l’abnégation ; surtout une vraie lucidité. La vie de la cité exige de renoncer aux égos. Elle nous dicte d’éviter à tout prix des politiques publiques sans profondeur, voire sans vision ni nécessité.

Par conséquent notre société a un besoin vital d’être une société de l’information et de la connaissance pour élargir sa conscience. Les Médias y ont un rôle décisif et une responsabilité immense. Sinon c’est la technocratie que l’on renforce et la démocratie que l’on affaiblit. Mais peut – être est-ce cela que l’on recherche ?

Par : Francis Massé, Président de MDN Consultants, essayiste et conférencier. Ancien élève de l’ENA, ancien administrateur général, il est secrétaire général du Cercle de la réforme de l’Etat. Son dernier livre Urgences et lenteur -Quel management public à l’aube du changement de monde ? est paru aux Editions Fauves. Il est préfacé par Anne-Marie Idrac.

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