La crise du Covid19 a eu pour effet l’accélération de la transformation digitale, du télétravail et la virtualisation du monde en portant un coup d’arrêt total à la relation humaine de face-à-face.

Phase 1 : avant le Covid19, virtualisation progressive du monde

Les sociétés oligopolistiques d’Internet, majoritairement américaines pour celles solidement implantées dans l’hexagone, ont contribué à virtualiser le monde. Nous sommes passés d’un monde physique à un monde phygital où cohabitent intelligemment services numériques et services physiques qui s’interpénètrent dans une logique omnicanale, du moins pour les entreprises ayant réussi leur transformation numérique. La connaissance client avec le numérique et les données collectées, la traçabilité, les plateformes, etc. font partie du paysage. Progressivement la connaissance client très fine anticipant les besoins de l’internaute (États-Unis) ou la cybersurveillance (en Asie) peuvent se révéler des atteintes aux libertés individuelles.

Monde physiqueMonde virtuel
Réunion physiqueZoom, Whereby, etc.
TravailTélétravail via Teams, Jamespot, etc.
Education en classeCoursera, Khan Academy et solutions des GAFAM
CinémaNetflix, YouTube
RestaurantUber Eats, Deliveroo
HôtellerieAirbnb
Courir ou faire du véloJouer à Strava et Zwift
Rencontre en boîte de nuitTinder et Meetic
MagasinAmazon (Alibaba)

Dans ce nouveau capitalisme, tout ce qui peut être dématérialisé le sera avec au cœur les données, nouvel or noir dans la société numérique. Le triptyque (dématérialisation, numérisation, désintermédiation), préalable à la transformation digitale, se vérifie.

Phase 2 : avec le Covid19, un monde phygital aseptisé

Cette crise sans précédent est un accélérateur du « capitalisme numérique » où les GAFAM, qui réalisent des marges bien plus confortables que n’importe quelle entreprise ayant le monde physique en terrain de jeu principal, conservent la mainmise de nombreux secteurs qui ont été disruptés.

Concrètement, cette crise nous montre notre très grande dépendance vis-à-vis des GAFAM et aussi la nécessité de développer notre souveraineté numérique (Amazon arrive à livrer en abondance des masques, ce que l’État n’a pu faire par anticipation et dans des délais raisonnables), le boom du télétravail et des outils de visioconférence (la société californienne Zoom par exemple qui est très performante mais critiquée en matière de sécurité). Ceci a révélé au grand jour que la France n’était qu’une « colonie numérique » des GAFAM (selon l’expression du rapport du Sénat remis par Catherine Morin-Desailly le 20 mars 2013).

Notons par ailleurs le système D avec des solutions développées grâce au numérique (par exemple impression de masques en 3D). Ceci vient apporter de l’eau au moulin au besoin de disposer du matériel localement ou relocaliser la production pour moins être dépendant de l’étranger. En effet, les trois caractéristiques recherchées par de nombreux consommateurs pour les fruits et légumes, à savoir le local, le bio et le « de saison » se déclinent côté numérique. Dans ce cas, il s’agit : 1. de souveraineté avec des outils Made in France (ou Europe), 2. prise en compte des données personnelles et optimisation de la consommation énergétique du matériel et 3. utilisation des fonctions des applications en fonction des besoins à l’instant donné sans avoir une kyrielles de fonctions non à propos.

Le confinement va plus loin dans la déshumanisation des services alors que jusqu’alors numérique et humain pouvaient se compléter. Nous passons désormais au monde « phygital aseptisé » !

En effet, avec les mesures sanitaires, il devient plus difficile de toucher les fruits et légumes que l’on souhaite choisir lors de ses courses. En Corée du Sud, depuis quelques années, des magasins virtuels à l’image de Home Plus, filiale de Tesco, présentent uniquement des rangées de photos avec des QR code. Les clients scannent les QR code des produits souhaités avec un paiement et une livraison automatiques. Il n’est par ailleurs plus possible de feuilleter un livre avant d’éventuellement l’acheter, privant les achats impulsifs de ce type. Le partage de l’atmosphère avec d’autres spectateurs tant au cinéma ou dans les concerts ne se fait plus.

On peut vivre à domicile en étant cloisonné comme un ermite avec tout à portée de clic ou de contact tactile de sa tablette ou de son smartphone.

Phase 3 : avec le déconfinement, retour de l’humain pour profiter d’un monde phygital

Néanmoins la crise a montré l’indispensable contact humain car tout ne peut pas s’effectuer dans un monde entièrement numérique.

En effet, le confinement a eu aussi pour corollaire la perte (que l’on espère provisoire) de nos droits de citoyens. En effet, les trois composantes de notre devise républicaine (liberté, égalité, fraternité) se sont étiolées lors de cette crise comme l’avait fait remarquer Nathalie Chiche. Pour autant, la fraternité a, du fait d’initiatives citoyennes et de nombreuses solidarités locales, progressé (« clapping » de 20 h pour soutenir le personnel hospitalier, courses faites pour des personnes dépendantes ou malades proches de chez soi, bénévolat, etc.).

La machine à café en entreprise, les échanges informels restent indispensables. C’est la bonne combinaison entre digital et monde physique qui est la clé du succès. A l’avenir nous aurons davantage recours au télétravail – qui permet des gains de temps notamment dans les transports et d’efficacité en étant utilisé à bon escient – mais plus que jamais besoin d’interactions physiques pour ne pas vivre comme des clones dénués de toute empathie. C’est souvent lors de la perte d’un organe ou d’une fonction que l’on se rend compte de son utilité.

Par David Fayon:

David Fayon est actuellement Responsable du programme Time To Test à La Poste pour l’innovation ouverte avec des start-up et PME innovantes. Docteur en Sciences de gestion de Télécom ParisTech et de l’Université de Paris Saclay, ses travaux portent sur la transformation digitale du secteur bancaire. Précédemment consultant Web dans la Silicon Valley pour des entreprises françaises et DG de PuzlIn.

Article en partenariat avec l’Institut Fredrik Bull

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