(Note du traducteur : cette chronique, sous forme d’uchronie/ comédie, met en scène des personnages qui évoluent dans un monde où le parti islamiste FIS (Front Islamique du Salut), a réussi à prendre le pouvoir en Algérie, devenue alors une théocratie )

Partie 3

Le spectacle était laid et désolant, la foule répétait le mot Shame en anglais. Il faut savoir que lorsque Abassi Madanioux avait accédé au pouvoir, l’une des premières mesures qu’il adopta, après celle de substituer la constitution par la charia, fut de remplacer le français, langue du colonisateur, par l’anglais. Ce fut un coup dur pour la France, pays qui avait soutenu le régime militaire et l’arrêt du processus électoral, Madanioux tenait sa vengeance. Aidé par le Qatar et les Etats unis, à qui il avait promis des tarifs préférentiels sur les exploitations pétrolières, allant même jusqu’à s’engager à leur offrir une base militaire*.
La proposition séduisit les Américains, qui très pragmatiques, saluèrent l’idée d’une zone d’influence* en Afrique du nord.
Madanioux put ainsi compter sur leur soutien en cas d’arrêt du processus éléctoral, et ce fut le cas !
Les Etats-unis intercédèrent en sa faveur auprès de la France, et purent empecher une quelquonque intervention, bien sûr, au nom du principe démocratique et de la souveraineté des peuples à décider de leur sort.
Une seule condition fut cependant imposée à Madanioux ; celle de ne pas transformer la république islamique en monarchie, car il leur serait difficile dans ce cas défendre un principe venu d’un autre âge. Madanioux, en position de faiblesse, fut contraint d’accepter le marché, bien qu’il rêvait d’établir un califat.
La lutte contre la francophonie fut l’un de ses premiers combats, ces mesures furent plutôt bien acceptée par la majorité des gens, vu que la langue française finit par se remplir d’une charge historique et politique extrêmement négative.
Les journaux d’expression française finirent par être fermés, le gouvernement de Madanioux alla jusqu’à créer un dispositif national de sécurité, dont la mission principale consistait à surveiller la population et à la verbaliser en cas d’usage du français, si l’infraction était constatée, l’amende s’élevait à mille dirhams.
La répression fut efficace, puisque les gens s’empêchaient d’utiliser la langue de l’ancien colonisateur, à l’exception du mot « normal », les gens avaient pu arrêter l’alcool, le français, le shit, les jeux de hasard, les femmes, mais renoncer à dire « normal », impossible, c’était trop leur demander. Et après de vives contestations, le mot normal finit par être officiellement admis dans le vocabulaire national.

30 ans après ce changement de régime, l’Algérie était devenue le théâtre des luttes ethno-golfique, l’Arabie Saoudite soutenait Ferkous et le parti des frères musulmans, tandis que le Qatar misait sur le FIS.
30 ans plus tard, notre situation n’est guère mieux, notre économie repose toujours sur le système de rente, d’ailleurs la décision de supprimer les banques et les crédits pour les remplacer par des systèmes de dépôt a eu pour conséquence de faire disparaître les investisseurs étrangers et locaux, et la corruption est plus que jamais élevée, je commence à trop réfléchir, ce n’est pas bon, je ferais mieux d’arrêter…
Je rentrai chez moi me reposer et faire une sieste* en attendant la prière du Asr. Me retournant dans mon lit, peinant à trouver le sommeil, je dus me résoudre à allumer la télévision pour regarder Abassia Tv, une publicité passait à cet instant, il s’agissait d’une réclame qui vantait les mérite du Musc de la marque Hichani, nom donné en hommage à Cheick Hichani, un éminent penseur et théologien.
Le plus étrange était de voir George Clooney*, à l’intérieur d’un jet privé*, vêtu d’une gandoura, un tapis de prière placé en évidence dans le champ de la caméra, il ressemblait à mon prof d’arabe, d’ailleurs, je n’ai jamais trop bien compris ce qu’on pouvait lui trouver, il était d’un physique plutôt moyen ! Une femme en niqab venait ensuite lui offrir du musc, il le passait langoureusement sur son cou, regardait la caméra, et dans un sourire disait « Hichani », avec son accent anglais, il prononçait Hychèni.
Juste après, la chaîne passa un reportage qui traitait de l’ère de l’ignorance, c’est-à-dire, tout ce qui avait précédé l’année 91. Cheb Djalti, le célèbre chanteur de rai de l’époque, apparut chemise ouverte sur un torse d’une pilosité abondante, à genoux en train de chanter à sa dulcinée son fameux tube « je voudrais grandir avec toi », le message était de montrer à quel point l’homme algérien, celui d’avant le changement de régime, manquait cruellement de dignité et de virilité. Cette image pitoyable était suivie par celle d’un cavalier barbu, son air énervé lui donnait fière allure, il ressemblait fortement à l’acteur qui avait interprété le rôle de Hamza dans le film Errissala, le messager. Une musique épique servait de fond sonore, les images étaient accompagnées de cette phrase : « Comme nous étions et ce que nous sommes devenus, loué soit Dieu pour sa grâce ! »
Ils enchaînèrent ensuite sur un clip de Hassiba Hamrouche, celui dans lequel on la voit se trémousser, bougeant le nombril, et chantant en play-back le refrain : « Ma joie, mon bonheur », la chorégraphie exigeait qu’elle se penche chaque fois qu’elle disait « non, non, non », la caméra faisait un gros plan sur sa poitrine plate, ce n’était pas très reluisant, on pourrait presque penser que c’était fait exprès…
Une femme en niqab, dont on ne voyait que les immenses yeux bien maquillés, apparut ensuite. Celle-ci jouait avec un nourrisson, ses mains douces occupaient le champ visuel, sur l’air de la chanson Tayiba, Tayiba, signifiant la vertueuse, avec toujours ce même message : « Comme nous étions et ce que nous sommes devenus, loué soit Dieu pour sa grâce ! »

À suivre…

(* en français dans le texte)

 

Par Didine Brik: Après des études en Sciences politiques, (L’ENA d’Alger), un Master 2 en GRH Lyon 2,  et une carrière relativement brève au sein des hautes sphères de l’administration algérienne, Didine se met à son compte et fonde son cabinet de consulting.

Traduit de l’arabe algérien par Nesrine Briki

Illustration : Yasmine Briki

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