Chroniques du Zatchistan

(Note du traducteur : ceci est la première partie d’un feuilleton fiction, cette uchronie/ comédie met en scène des personnages qui évoluent dans un monde où le parti islamiste FIS (Front Islamique du Salut), a réussi à prendre le pouvoir en Algérie, devenue alors une théocratie )

Partie 1

Je me réveille, l’heure indique 13 heures, vendredi, le moment de la prière, je négocie avec moi-même, je me dis que je n’irai pas au prêche, tant pis pour l’amende, je n’ai pas l’énergie…

J’allume la télé, je me sens plein de gratitude, je rends grâce à Allah d’avoir Abassia TV, notre unique chaîne de télévision. Comme chaque vendredi, Abassi Madanioux, notre vénérable président, donne un discours, suivi par le prêche d’Ali Bellaredj.

Je regarde la télé en me disant que nos gouverneurs sont un merveilleux exemple de leaders restés proches de leurs citoyens, quand soudain, le bandeau d’information affiche une information qui me laisse sans voix : le “Conseil de la Choura” venait de valider une loi qui criminalisait la branlette (l’onanisme si vous préférez), la peine encourue s’élevait à 10 coups de fouet, ainsi qu’un châtiment plutôt étrange et singulier pour notre honorable religion; car il s’agissait d’attacher le coupable, le sexe découvert et enduit de miel, laissé en proie à des légions d’abeilles.

Je me sens décontenancé, et aussi très déçu, comme à l’accoutumé, le Parti Soufi et le Parti Ibadhi s’étaient alliés au FIS.

Idem pour les Frères Musulmans, ceux-ci avaient fait alliance avec le FIS dans le but de contrer le Front Salafiste, présidé par Cheikh Ferkous. Ils tenaient ce dernier pour hautement dangereux, il était leur concurrent le plus redoutable, et leur ennemi juré, surtout depuis la fameuse « affaire de la cuillère » qui a pour conséquence de creuser davantage le fossé abyssal qui les séparait

L’affaire de la Cuillère survint durant le repas annuel de la Chakhchoukha Bénie de l’Aid El-Kébir.

Pour l’occasion, les présidents des principaux partis se réunissaient  lors d’un repas officiel, diffusé en direct sur Abassia Tv. Moukri (président des Frères Musulmans ) et Cheikh Ferkous étaient assis l’un en face de l’autre et se regardaient en chiens de faïence, quand le plat de Chakhchoukha arriva, Ferkous, sous les yeux du monde entier, saisit la cuillère, la jeta avec dédain , et décréta : « Ceci est une bid3a, une innovation ! » Moukri s’énerva et le traita d’arriéré qui salissait l’image de l’Islam, Ferkous l’ignora royalement et plongea la main dans le plat de Chakhchoukha.

Le président des Frères musulmans continuait sa diatribe contre son concurrent, il le fit tant et si bien que ce dernier vit rouge, il empoigna une cuisse de poulet et la projeta avec rage contre la figure de son adversaire, elle finit sa course en s’écrasant contre ses lunettes.

Instantanément, et comme par magie, le repas annuel se transforma en foire d’empoigne entre partisans Salafistes et Frères Musulmans, dans la bagarre générale, un salafiste glissa dans un plat de Chorba, tête en avant, en se relevant, sa barbe s’était fleurie d’un champs de frik (blé vert concassé) et dégoulinait de sauce rouge. C’était la honte internationale puisque l’événement était retransmis en direct sur Abassia TV, la vidéo de la bagarre devint virale et provoqua un buzz mondial…

Il ne reste plus que 5 minutes avant la fin du prêche, je me hâte d’y aller, je dévale les escaliers, en bas de mon immeuble, je tombe sur le comité de surveillance de la prière du vendredi : « l’amende te parviendra demain ! » Me lança l’un des hommes du comité. Il faut savoir que si on est absent au prêche du vendredi, on reçoit une amende de mille dirhams, anciennement un million, je leur réponds avec mépris : « Dieu pourvoit ! »

Je continue à courir, sur le chemin, je rencontre un type que je connais, on est tous les deux en retard, on ralentit le pas pour discuter :

– Tu as vu cette nouvelle loi, c’est une catastrophe, me lance-t-il.

– Que veux-tu y faire, rétorquais-je avec fatalisme, redouble de prudence, et garde à l’esprit que tu peux être dénoncé  par ton propre frère, lorsque tu entres aux toilettes, pense à prendre des cailloux avec toi, le bruit du plouf te couvrira pendant que tu seras en train de faire la chose !

– Et si je bouche les toilettes ?!

 

À suivre..

 

Par Didine Brik: Après des études en Sciences politiques, (L’ENA d’Alger), un Master 2 en GRH Lyon 2,  et une carrière relativement brève au sein des hautes sphères de l’administration algérienne, Didine se met à son compte et fonde son cabinet de consulting.

Traduit de l’arabe algérien par Nesrine Briki

Illustration : Yasmine Briki

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