(Note du traducteur : cette chronique, sous forme d’uchronie/ comédie, met en scène des personnages qui évoluent dans un monde où le parti islamiste FIS (Front Islamique du Salut), a réussi à prendre le pouvoir en Algérie, devenue alors une théocratie )

Partie 2
Nous parvenons enfin à la mosquée, en entrant, on nous jette des regards réprobateurs, certains ont les yeux qui luisent de jubilation, un sourire en biais, plaisir à peine réprimé à l’idée de l’amende qui nous attendait.

Nous prenons place, tandis que le sermon commence. Le thème d’aujourd’hui porte sur l’indécence féminine et la perte des valeurs et de l’honneur masculin, phénomène répondant à l’appelation Dayatha, le Dayouth étant celui qui est dénué de valeurs viriles, un homme qui n’éprouve pas de jalousie à l’égard de ses femmes…

L’imam se met à parler avec de plus en plus d’emphase, sa voix aiguë ressemble aux hurlements d’un loup affamé. Chaque fois qu’il prononçe le mot Dayouth, sa main décrit un geste énergique imitant la décapitation.

Les têtes sont baissées, honteuses et coupables. Dans l’assistance, certains regards sont braqués sur Kamel, le gérant de la supérette, une rumeur circulait à son compte ; il se disait que lors de ces dernières vacances en Tunisie, sa femme avait osé enlever le niqab sur la plage, et s’était baignée en short.

Kamel gardait la tête basse et transpirait à grosses gouttes. Les pleurs des femmes, parquées à l’étage supérieur, commencaient à nous parvenir, chaque fois que l’Imam haussait le volume, les lamentations des femmes s’intensifiaient.

J’avais l’impression que l’Imam tirait plaisir de ces lamentations, les pleurs du beau sexe l’encourageaient ; les phrases étaient martelées de manière de plus en plus vigoureuse, le religieux tremblait de tous ses membres, dans ses yeux brillaient la lueur du chevalier héroïque qui faisait soupirer de désir les jeunes filles fleurs bleues, j’ai fait un clin d’oeil amusé à mon ami, en chuchotant : « l’imam est un hallab ! » Hallab, signifie séducteur confirmé, avisé et un peu filou.

Porté par l’élan et la ferveur du moment, l’imam continuait ses invectives, il se sentait tellement à l’aise qu’il lâcha : « Le dayouth, cet encu… » il se retint, et se tut à temps, mais l’assistance ayant deviné la suite du mot, ne put contenir un rire, à l’étage, sous le choc, les femmes cessèrent soudainement de pleurer.

Bien entendu, nous connaissons tous l’incroyable aptitude des femmes à pleurer sur commande ; elles peuvent sangloter à chaudes larmes, s’interrompre l’instant d’après et demander : «  Tu sors ? Alors n’oublie pas de ramener du sel ! », pour ensuite reprendre les pleurs comme si de rien n’était. Incroyable…

La prière du vendredi prit fin, la foule quitta les lieux pour se diriger vers la place publique, une zone mixte*, mais il n’était nullement question de footbal, l’Imam ayant remplacé les fonctions du wali et du préfet, exigeait que ses administrés assistent à exécution des sentences, celles-ci avaient lieu après chaque prière du vendredi, et étaient retransmises en direct sur Abassia Tv.

Aujourd’hui, le coupable était un jeune homme qui s’était rasé la barbe, la punition consistait à le mettre à poil*, tandis que les gens lui balançaient des tomates et des œufs pourris.

La malheureuse cible vivante marchait dans la foule, sous les Shame**, shame, shame.

À suivre…

(* en français dans le texte)

(**en anglais dans le texte)

Par Didine Brik: Après des études en Sciences politiques, (L’ENA d’Alger), un Master 2 en GRH Lyon 2,  et une carrière relativement brève au sein des hautes sphères de l’administration algérienne, Didine se met à son compte et fonde son cabinet de consulting.

Traduit de l’arabe algérien par Nesrine Briki

Illustration : Yasmine Briki

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