Algérie, coup de théâtre au soir du lundi 11 mars dernier : Bouteflika n’est pas candidat à l’élection présidentielle algérienne, n’en a jamais eu l’intention et prendra toutes les mesures nécessaires pour laisser le pouvoir dans de bonnes conditions. L’annonce de sa candidature, le soutien de l’Alliance Présidentielle (coalition au pouvoir) ou le dépôt de son dossier de candidature au conseil constitutionnel, tout cela n’aura donc été qu’un vaste malentendu. Après tout, l’homme de 81 ans aux capacités cognitives manifestement très réduites est-il seulement au courant de ce grand ballet qui se trame autour de lui tandis qu’il se fait soigner à l’étranger ?

Les Algériens sont plus perplexes. La vigueur croissante des rassemblements contre Bouteflika depuis cette annonce surréaliste est là pour le prouver : le peuple semble décidé à ce que ce recul ne soit pas tactique mais bien le début d’un véritable renouveau politique et démocratique. Dans les rues et sur les réseaux sociaux, les dénonciations vont bon train avec cet air jovial et blagueur qui caractérise si bien l’humour algérien dans les situations les plus sérieuses : pas de quatrième mandat de dix ans, on ne vote pas pour un cadre et tout à l’avenant.

Chez les voisins, ce bouillonnement semble en faire tressaillir plus d’un. En Tunisie, on ne veut pas qu’une situation sécuritaire extrêmement sensible déborde depuis l’Ouest où le régime des généraux a su être d’un grand soutien alors qu’il ne goûtait que peu les idées du « printemps arabe ». Au Maroc, on préfère un frère-ennemi avec lequel discuter même vivement que l’inconnu. En France, l’élite politique et intellectuelle est hantée par l’idée que les soulèvements politiques dans le monde arabe finissent toujours en « hiver islamiste ». Cette hypothèse, bien que sérieuse me paraît toutefois peu probable pour les raisons suivantes :

-L’Algérie n’est pas un état défaillant. Ses services de sécurité sont très au point, ses administrations ont une emprise sur les territoires les plus reculés et, plus généralement, peu d’institutions peuvent négocier leur existence sans l’assentiment de l’Etat.

-La « décennie noire », ses centaines de milliers de morts et ses énigmes à tiroirs ont très lourdement joué sur le discrédit de l’islam politique divisé entre un pôle conservateur qui participe aux coalitions gouvernementales et un autre, plus radical, qui n’a plus du tout pignon sur rue et est totalement déstructuré.

-L’engagement extrêmement faible de ressortissant Algériens auprès des groupes islamistes et/ou terroristes en Syrie va dans le sens du point précédent. Il faut y voir aussi une stratégie intelligente du pouvoir et un véritable acquis de cette « concorde civile » pensée par Bouteflika qui mêle démantèlement des réseaux terroristes par un équilibre intelligent entre répression et réintégration.

-A côté de tout cela, n’oublions pas que la rente pétrolière existe, circule et finance une certaine forme de paix sociale entre les différentes institutions, formelles ou non, du pays. Par ailleurs, celle-ci s’appuie sur une infrastructure solide qui n’a rien à voir avec ce qui pouvait exister en Syrie ou en Libye.

A côté de cette nuance, il y a tout de même des questions déroutantes à poser :

-Pourquoi l’entourage de Bouteflika n’a tout simplement pas su se renouveler alors que la situation pouvait être largement anticipée ?

-Est-ce que l’armée, particulièrement bien placée pour mesurer la profondeur du rejet que suscite non seulement Bouteflika mais aussi tout le complexe politico-affairiste qui l’entoure, ne s’est pas désolidarisée du pouvoir en exerçant sur lui des pressions discrètes mais puissantes ? Cette prise de distance, si elle était avérée, ne signifierait aucunement que l’armée renonce à un scénario de la reprise en main sécuritaire.

-Est-ce que le sursis que s’occtroie le clan Bouteflika lui donne une chance de faire émerger un nouveau poulain venu de nulle part ? Et est-ce que ce nouveau cheval pourrait malgré tout gagner cette grande course politique tant l’opposition, elle, ne saurait se donner des leaders crédibles et fédérateurs dans le temps imparti ?

-Dans cette nouvelle donne, comment vont réagir les garants de la Constitution ?

La réalité, c’est que cette nouvelle page d’histoire fait émerger de nouveaux objets et de nouveaux acteurs politiques dans des conditions inédites qui font que personne ne sait réellement où va l’Algérie : ni les historiens de la guerre d’Indépendance, ni les opportunistes politiques qui se sont construits dans la défense de la burka en France avant de se rêver un destin présidentiel en Algérie, ni les islamo-fréristes recyclés dans le renseignement et adoubés spécialistes ès-Algérie ni les universitaires tiers-mondistes usés par le temps. Personne !

En dehors de ces quatre mandats et de l’enterrement d’un système de gouvernance qui a fait son temps, rien n’est écrit d’avance ! Entre le chaos mortifère et la renaissance d’une Algérie libre et prospère, il y a bien une cinquantaine de nuances plus ou moins heureuses et le pays voguera dans cet univers des possibles selon ses aspirations et ses tentations du moment. Laissons donc le peuple algérien rédiger sa plus belle page selon son inspiration la plus profonde, sans naïveté mais sans paranoïa non plus.

Par : Yassine Ayari, ingénieur, auteur du livre Banlieues verte.

Article initialement publié sur le groupe de réflexion Le Débat Continu (LDC).

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