Le 21 juin dernier, l’AFEP et le MEDEF ont présenté la nouvelle version de leur code de gouvernance afin, notamment, de prendre en compte les évolutions récentes tant d’un point de vue législatif qu’au regard des attentes du public et des investisseurs. Pourtant, les entreprises ne sont pas les seules concernées, il est temps d’en prendre conscience.
Une précieuse gouvernance d’entreprise…
Derrière le mot gouvernance, nous entendons souvent, à tort, conseil d’administration, comitologie, administrateurs et actionnaires ; et ce sans doute parce qu’il s’agit des principaux thèmes du code de gouvernance de l’AFEP-MEDEF. Pourtant, la gouvernance d’entreprise est infiniment plus préci(eu)se. Elle permet de paramétrer les modalités de prise de décisions, tout en précisant la manière de fixer et d’atteindre les objectifs.
La gouvernance délimite les pouvoirs et responsabilités et définit les valeurs et la culture de l’entreprise. Bref, elle est la garante de la bonne marche de cette dernière, tout en précisant son ADN : elle devient le garde- fou de son existence, rien de moins.
Alors que la responsabilité sociale, sociétale et environnementale des entreprises (RSE) est en plein développement, s’assurer de la bonne gouvernance des entreprises devrait être une première étape. Non pas pour, encore une fois, contrôler les entités privées lucratives, mais au contraire pour s’assurer que ce qui réunit les parties prenantes autour de la société (SA, SARL, etc.) est bien un projet clair et partagé pour et par tous. La transparence que la gouvernance essaie d’établir n’est pas une intrusion dans la vie de l’entreprise, mais l’assurance de la bonne compréhension de son objet, de son projet et de ses missions ; notamment pour susciter l’engagement des investisseurs, des partenaires, des salariés ou de l’opinion publique.
… qui ne doit pas se limiter aux entreprises
Il serait bien trop facile de jeter la pierre aux entreprises, qui devraient être les seules à s’interroger sur leur fonctionnement interne. Toutes les organisations ont le devoir de questionner leur gouvernance, et notamment les organisations à but non lucratif. Au sein des coopératives ou de certains établissements publics, la gouvernance s’est imposée d’elle-même. Les SCOP, par exemple, font de la gouvernance la protectrice de la démocratie. La gouvernance d’une université viendra donner la parole aux enseignants, aux étudiants, aux personnels administratifs et techniques, aux partenaires, etc.
La tâche n’est pas aussi claire pour d’autres structures. Ainsi, les associations et les collectivités publiques sont particulièrement en retard. Les premières absorbent souvent le schéma traditionnel assemblée générale – conseil d’administration – bureau sans l’adapter à leurs particularités. Plaquées depuis le privé lucratif, leurs pratiques de gouvernance sont aujourd’hui complètement déphasées avec leurs réels besoins. La multiplicité des référentiels de gouvernance associative, divergents de surcroît, ne fait que brouiller les pistes.
Quant aux collectivités publiques, elles souffrent de problématiques similaires. La gouvernance publique est encore trop peu pensée ; et ce notamment dans sa bicéphalie : d’un côté, des fonctionnaires dont le souhait est de servir l’usager (avec plus ou moins de succès et de moyens) ; de l’autre, un pouvoir politique qui doit porter un projet, une vision et une cohérence pour le territoire (malgré les enjeux électoraux…). Pris en étau, le service public doit aussi faire face à une démultiplication de ses partenaires, sans que les actions et les relations ne soient bien coordonnées. Autrement dit, les organisations publiques souffrent elles aussi de lacunes de gouvernance.
Pourquoi une urgence ?
Nous – citoyens, usagers, administrés, clients, partenaires – sommes en droit de nous inquiéter du retard qu’accusent les organisations françaises en termes de bonne gouvernance. Pour les raisons précédentes, mais aussi parce que la gouvernance des organisations en leur sein a aussi une résonance spécifique sur le territoire.
Si les organisations qui structurent notre vie (professionnelle comme personnelle, finalement) ne parviennent pas à garantir pour elles-mêmes une certaine sécurité (dans les décisions, les responsabilités) mais aussi une identité (les valeurs et la culture), comment pourraient-elles le faire pour la société ?
Plus qu’une vague de prise de conscience qui déferlerait sur nos esprits en termes de transparence, de confiance et de responsabilité (RSE, RSO, etc.), c’est notre projet de société qui est aussi structuré par la gouvernance (territoriale et nationale).
Or cette dernière n’est pour le moment pas pensée en des termes larges. La gouvernance territoriale est entre les mains des élus, tel que le rappelle la loi. Quant aux entreprises, l’intégration des parties prenantes dans la gouvernance n’est pas souhaitable pour Pierre Gattaz.
La crise sociale (et sociétale) si souvent soulignée en France ne pourra se résorber sans gouvernance plus ouverte et collaborative (au sein et entre les organisations), pour restaurer la confiance. Il en va de même quant à la crise citoyenne et aux mutations de l’engagement : l’informel continuera de progresser tant que l’on empêchera la gouvernance de protéger la démocratie, et ce partout. Oui, l’urgence, c’est la gouvernance, définitivement.
Par : Guillaume PLAISANCE, Doctorant en sciences de gestion, à l’Université de Bordeaux
Expert et Administrateur de Recherches & Solidarités