Quel sera l’avenir du monde des affaires ? C’est difficile à prédire, je sais. Et beaucoup de gens ont essayé avant moi. Néanmoins, c’est la question que j’ai décidé d’aborder dans un nouveau projet de livre basé sur une série d’entretiens.

« L’histoire ne se répète pas, elle rime », aurait déclaré Mark Twain. Et bien qu’il ne s’agisse pas d’une description très précise, il est vrai que nous pouvons et devrions utiliser le passé pour façonner l’avenir.

Voilà pourquoi j’ai commencé mon projet en interviewant un trio d’historiens des affaires. J’ai d’abord parlé avec Chris McKenna de la Saïd Business School de l’Université d’’Oxford. Puis je me suis entretenu avec Nitin Nohria, doyen de la Harvard Business School et Geoffrey G Jones, professeur en histoire des affaires, également à la Harvard Business School.

Bien que ces trois spécialistes aient fourni des perspectives très différentes, ils ont tous convenu d’une chose : le monde ne change pas aussi rapidement que les gens le pensent.

L’hyperventilation du changement

L’idée que le changement s’accélère est courante. Si vous recherchez « changement exponentiel », par exemple, vous trouverez des articles intarissables sur le sujet, écrits par des voix bien établies et publiés par des médias d’affaires hautement réputés.

Cette idée n’est pourtant pas inédite. Il s’agit de la loi de Moore de 1965. À l’époque, l’ingénieur Gordon Moore avait observé que le nombre de transistors dans un circuit intégré doublait tous les deux ans.

Aujourd’hui, c’est la quantité de données dans le monde qui est multipliée par deux à ce même rythme. Parallèlement à la crise climatique, à la montée de l’intelligence artificielle et aux niveaux extrêmes de connectivité actuels, plus de 4 milliards de personnes utilisent aujourd’hui Internet ; on comprend pourquoi le terme « bouleversement » est devenu si prisé des penseurs économiques et autres commentateurs.

Quel est donc le problème ?

Tout d’abord, cette hyperventilation du changement entraîne toute une gamme d’implications négatives. Elle encourage l’idée que le monde est imprévisible, ce qui génère de la peur. Pour cette raison, il est impossible d’essayer d’avancer des éléments sensés à propos de l’avenir. Et cela nous dissuade de tirer des leçons du passé.

Deuxièmement, l’idée d’un changement exponentiel est tout simplement fausse. Oui, le monde change. Mais le changement n’est pas de plus en plus rapide.

« Les gens ont dit que le changement s’accélérait en 1900 », nous rappelle Chris McKenna. « Ils l’ont dit en 1920. En 1940, en 1960, en 1980 et en 2000. Faut-il donc supposer que ceux qui l’avaient dit se trompaient, mais pas nous ? »”

« Ce que nous faisons, c’est que nous fétichisons la dérivée seconde. Nous nous préoccupons du rythme du changement. »

Geoffrey G Jones a le même argument :

« Si vous revenez en arrière et lisez ce que les gens ont écrit au 19ème siècle, ils pensaient que le changement se produisait à un rythme incroyable, encore jamais vu auparavant. »

Cela étant dit, ils avaient raison de penser cela au 19ème siècle. Le niveau de transformation était extraordinaire. Scientifiquement, entre Darwin et Einstein, nous avons assisté à un énorme changement dans notre perception du monde. Et d’un point de vue technologique, la vitesse de l’information a radicalement changé avec l’arrivée du télégraphe.

« Avant le télégraphe, les informations voyageaient à la vitesse d’un cheval. La plus grande transformation que l’on puisse imaginer dans le monde de l’information, c’est ça, pas Internet », déclare Jones.

 Le premier télégramme au monde, un rapport sur les ventes d’argent.

À quel point le Web est-il vraiment transformateur ?

Cependant, la notion que nous avons aujourd’hui du changement exponentiel est fortement influencée par Internet et la transition vers une économie de réseau dans ce qu’on appelle « l’ère de l’information ».

Oui, le Web a complètement changé le paysage médiatique. Et oui, le Web a permis de nouvelles manières basées sur le réseau d’échanger des biens et des services, par exemple grâce à l’économie de partage et aux technologies de blockchain.

Mais, selon Jones, le Web n’a pas encore connu de grand impact transformateur au-delà du domaine de l’information :

« Pensez par exemple au transport physique et à la manière dont nous déplaçons les choses, cette technologie a à peine changé depuis 30 ou 40 ans. Nous avons toujours les mêmes avions et nous transportons toujours nos marchandises dans de grands navires. Qui plus est, nous n’avons toujours pas guéri le cancer. »

Pourquoi aimons-nous le concept de changement exponentiel ?

Mais dans ce cas, pourquoi continuons-nous à penser que le changement s’accélère ? Pourquoi fétichiser la dérivée seconde ?

D’une part, il y a l’aspect psychologique, voire biologique. Comme toujours, tandis que les nouvelles générations portent le changement, leurs parents et leurs grands-parents vont se dire que le monde est devenu fou. Cela ressemble simplement à un changement exponentiel.

D’autre part, il y a l’aspect commercial. Une raison de garder cette idée en vie :

« Si vous lisez la littérature économique, chaque époque a vu les dirigeants invoquer l’idée que le monde changeait à une vitesse jamais égalée », explique Nitin Nohria. « C’est un moyen de défier votre organisation, de créer de l’énergie et de la motivation. Si vous leur dites que tout sera plus ou moins pareil, pourquoi les gens devraient-ils faire attention ? »

Une troisième raison est le concept de révolution industrielle. En ce moment, nous sommes sans doute au milieu de la quatrième révolution industrielle et, dans un contexte de frénésie tel que celui-ci, les choses changent plus rapidement qu’à d’autres époques.

Cela nourrit à son tour l’idée qu’un changement révolutionnaire arrive et qu’il bouleversera le monde des affaires.

Cependant, en réalité, le changement n’est pas exponentiel. Il ressemble plutôt à une série de courbes en S. Il y a des périodes de frénésie, et des périodes calmes.

Ne pas négliger la pause

Mais avons-nous tort de nous concentrer sur ces périodes de changement croissant ? Et y a-t-il une alternative à cette histoire de changement révolutionnaire ?

« De mon point de vue », affirme McKenna, « je pense en fait que nous devrions passer plus de temps à poser des questions telles que : Que se passe-t-il en temps de pause ? Les pauses sont aussi importantes que les périodes d’accélération. »

Selon McKenna, les pauses entre les révolutions industrielles sont très importantes pour deux raisons :

de nombreux développements importants ont vu le jour pendant des pauses. Par exemple, l’énergie nucléaire, la télévision et la climatisation.

C’est pendant les pauses que se produit le vrai travail. Ce qui importe le plus n’est pas l’évolution rapide de la technologie robotique, par exemple, mais sa mise en application dans les 30 années suivantes.

Pourquoi l’ennui triomphera

Selon moi, en me basant sur mes conversations avec le trio de spécialistes en affaires, ce qui suit devrait devenir la véritable histoire des affaires au cours des deux prochaines décennies :

Nous avons toutes ces technologies (relativement) nouvelles à notre disposition. À l’heure actuelle, la plupart d’entre nous essayons de comprendre en quoi elles consistent, comment elles fonctionnent, ce qu’elles signifieront, etc.

Mais bientôt ces technologies perdront de leur éclat et nous entrerons dans une période de pause. C’est là que le travail réel et ennuyeux commence. Et c’est à ce moment-là que les entreprises devront rester concentrées – lorsque l’attrait technologique initial aura disparu depuis longtemps.

En résumé, les gagnants de demain pourraient très bien être les entreprises ennuyeuses. Celles qui évitent l’hyperventilation, développent méticuleusement leur produit de base et visent le long terme.

Par :  Jonathan Wichmann, Co-founder, Wichmann/Schmidt

En collaboration avec le WORLD ECONOMIC FORUM

https://www.weforum.org

Retrouvez l’article original ici.

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