Pour Yuval Noah Harari, Professeur d’Histoire à l’université hébraïque de Jérusalem et auteur de Sapiens et Homo deus, la crise inédite du Coronavirus pourrait constituer un risque de basculement vers la surveillance de masse et le repli nationaliste. Dans un article du Financial Times du 20 mars, Il appelle à faire les bons choix et surtout, très rapidement !
Jean-Pierre Briffaut, docteur ès sciences physiques et membre de l’Institut Fredrik R. Bull, nous livre ici une analyse synthétique de la vision et des propositions de Harari :
D’une part, l’humanité fait face aujourd’hui à une crise globale, peut-être la plus importante de notre génération. D’autre part les décisions prises dans les prochaines semaines façonneront les systèmes de santé et l’économie des prochaines années. Nous devons agir non seulement avec promptitude pour surmonter les menaces immédiates mais aussi en tenant compte des conséquences à long terme. Après la tempête nous serons vivants, mais nous vivrons dans un autre monde.
Beaucoup de mesures d’urgence de court terme deviendront pérennes comme cela se produit souvent. Les mesures d’état d’exception prise en 1948 en Israël n’ont été abolies qu’en 2011. Elles accélèrent les processus historiques : des décisions qui en général prennent des années de délibération deviennent opérationnelles en quelques heures. Des technologies non matures ou même dangereuses sont mises en œuvre parce que les risques de ne rien faire sont plus grands.
Que se passera-t-il quand le télétravail, les enseignements scolaires et universitaires se feront en ligne ? En temps ‘normal’ il aurait été très difficile de mener des expériences à l’échelle où elles sont menées aujourd’hui.
Nous faisons face aujourd’hui à deux catégories de choix :
-surveillance totalitaire versus responsabilité citoyenne
-isolation nationaliste versus solidarité globale
Surveillance totalitaire versus responsabilité citoyenne
Pour arrêter l’épidémie, des populations entières doivent se conformer à certaines directives. Pour s’assurer de la conformité du comportement des citoyens, une méthode coercitive est de les punir quand il y a transgression. Contrairement à ce qui se passait il y a cinquante ans en URSS, le KGB ne pouvait pas surveiller 240 millions de citoyens 24h sur 24 et 7 jours sur 7 en postant un fonctionnaire derrière chaque citoyen. Le KGB n’avait non plus les moyens informatiques d’analyser le volume des données recueillies.
Aujourd’hui la situation a changé avec la disponibilité des services performants de télécommunications et des capacités de traitement informatique. C’est déjà le cas en Chine où des millions de caméras réalisent la reconnaissance faciale et où les citoyens sont obligés de contrôler et de transmettre leur température et leur état de santé aux autorités. Ceci permet de suivre à la trace les déplacements et les états de santé des chinois, et d’identifier et localiser les porteurs potentiels du coronavirus.
Le comportement citoyen du public dépend de la confiance qu’ont ou pas les citoyens dans la science, les autorités publiques et les médias. La confiance qui s’est dégradée ne se rétablit pas en une nuit mais il faut prendre des mesures aussi vite que possible pour qu’elle revienne.
D’ailleurs les nouvelles technologies devraient être utilisées pour donner aux citoyens les moyens de collecter des données sur leur santé ou des éléments concernant leur vie privée afin de les aider à faire des choix plus pertinents dans les deux cas. Mais la confidentialité des données personnelles vis-à-vis des gouvernements est une exigence stricte pour renouer avec la confiance des citoyens. Il ne faut pas que les autorités puissent traiter ces données, et dans le cas des données de santé être mieux informées que les intéressés sur leur état de santé effectif.
La surveillance biométrique (état de santé) pendant une épidémie pourrait être acceptée par la population si elle est limitée dans le temps. Le choix entre la confidentialité et la santé est un faux problème.
Dans les semaines précédentes la Corée du Sud, Taiwan et Singapour ont montré que le combat contre le coronavirus ne s’est pas gagné en instituant un régime totalitaire de surveillance mais en misant sur un déploiement massif de moyens de test, une communication honnête et la coopération volontaire d’un public bien informé.
Si aujourd’hui des milliards d’individus se lavent les mains ce n’est pas la peur de la ‘police du savon’, mais bien parce qu’ils comprennent la situation et font confiance aux sources d’informations dont ils disposent. Donner le pouvoir à des citoyens correctement informés et auto-motivés est le meilleur moyen de gagner leur coopération et la guerre contre la maladie.
La même surveillance utilisée par les gouvernements pourrait être mise en œuvre par les citoyens pour surveiller les gouvernements qui doivent rendre des comptes de leurs actions.
L’épidémie de coronavirus est un test grandeur nature pour savoir si chacun d’entre nous fait confiance aux données scientifiques et aux experts de santé par rapport aux théories infondées de conspiration et aux politiciens servant leurs intérêts. Si cette confiance se révèle absente, nous pourrions perdre nos libertés les plus précieuses en pensant que c’est le seul moyen de protéger notre santé.
Isolation nationaliste versus solidarité globale
Le second choix auquel nous sommes confrontés est entre une isolation nationaliste et une solidarité globale. L’épidémie et la crise économique qui en résultent sont des problèmes globaux qui ne peuvent être résolus que par une coopération globale.
Tout d’abord pour vaincre le virus nous devons partager les informations de nature scientifique et chercher, humblement et dans un esprit de confiance réciproque, des données et des conseils auprès de ceux qui ont acquis de l’expérience.
Nous devons aussi nous associer pour produire et distribuer des équipements médicaux. Nous devons aussi nous porter assistance mutuellement en envoyant du personnel médical dans les zones les plus touchées.
Une coopération globale est vitale dans la mesure où les économies sont globalement interdépendantes ainsi que leurs chaînes d’approvisionnement. Un accord sur les voyages internationaux est aussi essentiel, en particulier pour les scientifiques, les médecins, les journalistes, les hommes politiques et les hommes d’affaires. Ceci peut se faire en testant les voyageurs dans leur pays d’origine avant le départ.
Une paralysie collective a bloqué la communauté internationale. Il a fallu attendre cette semaine pour que les dirigeants du G7 organisent une vidéo-conférence. Dans les crises précédentes- crise financière de 2008 et crise sanitaire Ebola de 2014, les Etats Unis d’Amérique avait joué un rôle de leader : ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Le comportement de l’administration actuelle américaine a scandalisé l’Allemagne en tentant d’acheter les droits exclusifs d’un vaccin contre le Covid-19 auprès d’une firme pharmaceutique allemande.
Si le vide laissé par les USA n’est pas comblé par d’autres, non seulement il sera plus difficile d’arrêter l’épidémie actuelle mais son héritage continuera à empoisonner les relations internationales pour les années à venir.
Chaque crise offre des opportunités. Nous devons faire un choix entre le chemin de la désunion et celui de la solidarité. Si nous choisissons la désunion, la crise sera prolongée et des catastrophes pires en résulteront probablement. Si nous choisissons la solidarité globale, ce sera une victoire non seulement contre le coronavirus mais aussi contre les épidémies et crises qui pourraient assaillir l’humanité au cours du vingt et unième siècle.
Par Jean-Pierre Briffaut, docteur ès sciences physiques / Membre de l’ ‘Institut Fredrik R. Bull
Jean-Pierre Briffaut, est aussi est directeur d’études honoraire de l’Institut Mines Télécoms. Il est l’auteur de deux ouvrages publiés chez ISTE WILEY, ‘E-enabled Operations Management’ (2015) et ‘From Complexity in the Natural Sciences to Complexity in Operations Management Systems'(2019). Il a publié aussi plusieurs ouvrages chez Hermès – Lavoisier et, en particulier en tant qu’éditeur, ‘Univers virtuels et environnements collaboratifs-visions multidisciplinaires théoriques et pratiques’ (2011).
Cet article a été publié en partenariat avec l’Institut Fredrik R. Bull
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