Christophe Barat, Agence française de développement (AFD) et Hélène Ehrhart, Agence française de développement (AFD)

Cet article – y compris les données chiffrées dont les sources ne sont pas indiquées en liens – provient du travail réalisé par les auteurs dans le cadre du livre collectif « L’économie africaine 2020 », paru aux éditions La Découverte en janvier 2020.


Le processus de développement économique induit des financements importants destinés à la mise en place d’infrastructures et de services publics. L’essentiel de ces financements est couvert par l’endettement, notamment public. L’encours de la dette publique africaine s’inscrit ainsi en hausse depuis le début de la décennie 2010. En 2018, elle s’est élevée à 1 330 milliards de dollars, soit 60 % du PIB continental, ou encore 1 060 dollars par habitant. Cette augmentation, bien que marquée par des disparités fortes selon les pays, interroge sur la viabilité de l’endettement des États et pose la question du financement de leur processus de développement.

Des situations d’endettement public très contrastées

Après avoir connu une forte décrue dans les années 2000, en lien avec les annulations de dette octroyées dans le cadre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés, l’encours de la dette publique a repris une trajectoire ascendante au début de la décennie 2010. Le poids relatif de la dette publique africaine est ainsi passé d’un point bas de 35 % du PIB en 2010 à 60 % du PIB en 2018 (soit + 25 points de PIB). Ce taux d’endettement public moyen de l’Afrique reste toutefois encore nettement inférieur aux sommets atteints avant l’entrée en vigueur des allègements de dette (autour de 100 % du PIB) et, répétons-le, les situations d’endettement des pays sont loin d’être uniformes.

En 2018, l’Afrique de l’Ouest présente le ratio de dette publique le plus faible du continent (38 % du PIB). Mais cette performance résulte pour l’essentiel du poids prépondérant du Nigeria, historiquement peu endetté (28 % du PIB), alors que le reste de la zone affiche un ratio nettement plus élevé (56 % du PIB). L’Afrique de l’Est est particulièrement endettée (73 % du PIB) du fait du poids du Soudan qui affiche un taux d’endettement extrême (166 % du PIB) tandis que le reste de la région présente un ratio moyen beaucoup plus raisonnable (52 % du PIB). Le taux d’endettement apparaît plus défavorable dans les pays d’Afrique australe, hors Afrique du Sud, avec un taux de dette moyen de 69 % du PIB, résultant d’une hausse particulièrement dynamique au cours de la dernière décennie, en particulier en Angola, au Mozambique et en Zambie.

L’Afrique du Nord est la région où le taux d’endettement public est le plus élevé (74 % du PIB en 2018) avec des dynamiques haussières particulièrement rapides suite aux printemps arabes. Enfin, en Afrique centrale, la hausse de la dette publique s’est concentrée sur la période 2014-2016, et a été étroitement corrélée avec la baisse des cours internationaux du pétrole. Cette augmentation a été significative (+ 24 points sur trois ans) mais de courte durée puisque l’Afrique centrale apparaît comme la seule région où les ratios d’endettement public ont baissé depuis 2017.

Une modification de la structure de l’endettement public

Au-delà de sa dynamique haussière, l’endettement public se caractérise également par la modification significative de sa composition. La première inflexion concerne la substitution des créanciers traditionnels de l’OCDE, rassemblés au sein du Club de Paris, par les créanciers des pays émergents, notamment la Chine. L’érosion de la contribution du Club de Paris est massive : son encours de dette sur l’Afrique est ainsi passé de 67 milliards de dollars en 2010 à 44 milliards en 2017 tandis que l’encours global des créanciers bilatéraux progressait sur la même période de 70 à 128 milliards de dollars.

La deuxième modification majeure est la montée de la part de la dette émise sur les marchés financiers internationaux. À partir de 2013, l’augmentation de la liquidité internationale et la baisse des rendements dans les économies avancées ont conduit les investisseurs internationaux à s’intéresser à la dette publique de certains pays africains qui n’avaient auparavant pas accès aux marchés internationaux.

Cette nouvelle capacité à émettre a concerné une bonne dizaine de pays (Angola, Côte d’Ivoire, Éthiopie, Gabon, Ghana, Kenya, Mozambique, Nigeria, République du Congo, Rwanda, Sénégal, Zambie) sur des maturités généralement de 5 à 12 ans mais pouvant monter jusqu’à 30 ans. Les montants de dette émis ont été élevés et, en 2019, l’encours de dette obligataire externe a ainsi atteint 15 % du PIB au Sénégal, 14 % en Côte d’Ivoire, 12 % au Gabon et en Zambie, 11 % du PIB au Ghana.

Cette évolution de la structure de la dette a des impacts à différents niveaux et, en premier lieu, sur le coût des emprunts. Les titres émis sur les marchés internationaux sortent à des taux d’intérêt rarement inférieurs à 5 % et souvent supérieurs à 7 %, soit des taux bien plus élevés que ceux obtenus pour des financements d’institutions multilatérales, type Banque mondiale ou Banque africaine de développement, ou des créanciers publics bilatéraux qui accordent des financements à des taux concessionnels (inférieurs au coût du marché).

Une viabilité de la dette publique qui se détériore globalement

Cette montée de l’endettement enregistrée au cours des dernières années pose la question de sa viabilité, c’est-à-dire de la capacité des États à honorer les engagements liés à leurs emprunts. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale conduisent annuellement des analyses de la viabilité de l’endettement et les résultats montrent que la viabilité de la dette s’est globalement détériorée depuis 2014. Dans les 39 pays d’Afrique classifiés à faible revenus, le nombre de pays où la dette publique extérieure est jugée en risque élevé de surendettement ou en situation de défaut est ainsi passé de 7 à 19 entre 2014 et 2018.

Pour ces pays en difficulté, les restructurations de dette qui devraient être éventuellement négociées pour remettre la dette sur une trajectoire soutenable font face à deux défis importants induits par la modification de la structure d’endettement décrite plus haut. D’une part, la fragmentation des créanciers et leur non-coordination impliquent que l’environnement des futures restructurations de dette s’en trouve complexifié, avec des discussions potentiellement plus compliquées pour les débiteurs. D’autre part, la proportion croissante de dette détenue par des créanciers privés expose les pays au risque de connaître des contentieux juridiques coûteux lors des restructurations. En effet, depuis les années 2000, une part croissante des restructurations de dette donne lieu à des contentieux du fait de créanciers non coopératifs, appelés communément « fonds vautours ».

Malgré la montée de la dette publique, la viabilité de cet endettement public reste toutefois relativement satisfaisante, en 2019, dans les 15 pays africains qui sont considérés en risque modéré de surendettement et, plus particulièrement dans les 5 pays qui sont classifiés en risque faible, à savoir le Lesotho, l’Ouganda, le Rwanda, le Sénégal et la Tanzanie.

Dans un contexte incertain et dégradé, quelle stratégie de financement adopter ?

S’endetter pour financer ses investissements publics peut être considéré comme soutenable mais deux dimensions apparaissent cruciales pour concilier ce besoin d’investir avec un risque de surendettement limité. Premièrement, le fait que la dette publique serve à financer les investissements publics dont le pays a besoin est certes un facteur positif mais il est essentiel que les outils de gestion de la dette qui recouvrent notamment l’élaboration de stratégies d’endettement, ainsi que la maîtrise des risques de change, d’intérêt et de refinancement, soient adaptés et performants. Deuxièmemement, il convient de s’interroger sur la capacité des investissements financés à assurer le remboursement ultérieur des dettes contractées.

Cela pose la question de la qualité des investissements financés, tant du point de leur pertinence (réalité des effets attendus) que de leur efficience (coût-efficacité). Ces questionnements sur les choix d’investissements publics et sur l’adéquation de leur financement devraient constituer des points de vigilance permanents.

Christophe Barat, Chef de projets Gouvernance des entreprises publiques, Agence française de développement (AFD) et Hélène Ehrhart, Économiste du développement, Agence française de développement (AFD)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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