L’opposition en Albanie, actuellement menée par le Parti démocratique, et le Mouvement socialiste pour l’intégration ont déclaré qu’ils n’autoriseraient pas le gouvernement à organiser les élections locales initialement prévues pour le 30 juin 2019. Depuis mi-février, lesdits partis ont lancé une série de rassemblements et de manifestations. Les parlementaires de l’opposition ont démissionné de leurs mandats au Kuvendi (le parlement albanais) pour accroitre davantage la pression sur le parti socialiste au pouvoir. Ils accusent ce dernier d’être corrompu et lié au crime organisé. Selon les affirmations de l’opposition, les protestations et la démission du Parlement sont une réponse au soupçon de fraude électorale lors des élections générales de 2017.
Néanmoins, ces accusations ne sont apparues que récemment, et non pas juste après les élections ayant eu lieu il y a deux ans, suscitant ainsi de nombreuses interrogations parmi les observateurs politiques.
En effet, le vote de 2017 a été certifiée comme ayant été libre et équitable par les principaux observateurs internationaux de l’OSCE via le BIDDH (Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme),ainsi que par d’autres partenaires tels que les États-Unis et l’Union européenne (UE). De plus, l’opposition actuelle était membre en 2017, au moment des élections, d’un gouvernement unissant en son sein une grande partie des partis du pays, et elle était fortement impliquée dans l’organisation de ce scrutin. Sur la base d’un accord avec le Parti socialiste au pouvoir, les principaux mouvements de l’opposition avaient obtenu la majorité au sein du comité électoral et le contrôle des principaux ministères et répertoires d’État impliqués dans l’organisation des élections, par crainte de voir le Parti socialiste influencer les élections (notamment le vice-Premier ministre, ministère de l’intérieur, ministère des finances, ministère de la justice, ministère de l’éducation, ministère de l’agriculture, des impôts et des douanes, etc.). Il s’agissait d’un gage de confiance que le Parti socialiste concédait afin de rassurer ses partenaires. Cependant, indépendamment de cela, les deux principaux partis d’opposition n’ont jusqu’à présent pas réussi à faire appel du résultat final des élections, alors même que près de 20 000 commissaires représentant ces partis dans l’ensemble du pays ont participé au processus de dépouillement.
Alors de quoi en retourne-t-il réellement en Albanie?
Le Premier ministre Edi Rama a exprimé à maintes reprises son intention d’engager un dialogue constructif avec les autres parties, mais en vain. Il s’est également montré disposé à discuter des modifications de la loi électorale, d’une manière qui pourrait être jugée satisfaisante pour les partis d’opposition. Pourtant, cette dernière a adopté une position peu conciliante, entraînant une multitude de manifestations massives et violentes depuis le mois de février. S’ajoute à cela, l’usage d’une rhétorique jugée déséquilibrée, illogique et peu crédible, qui semble viser à déstabiliser le pays et sa société, et à en saper le tissu moral, tout en sabotant au passage les négociations d’adhésion du pays à l’Union Européenne.
Un scénario identique avait déjà été mis en œuvre au moment de la réforme de la justice, que les partis d’opposition ont essayé à plusieurs reprises de faire capoter. La réforme de la justice, un ensemble de réformes constitutionnelles, élaborées en étroite coopération avec les États-Unis et l’Union européenne, visait à lutter contre la corruption dans les tribunaux et à rétablir la confiance dans les institutions judiciaires en contrôlant minutieusement tous les juges et les procureurs. Il n’est donc pas surprenant que les deux principaux partis de l’opposition aient tenté de bloquer la réforme susmentionnée, qui était largement considérée comme l’élément-clé pour entamer les négociations d’adhésion à l’UE. On ne peut s’empêcher de noter les similarités dans le procédé utilisé par l’opposition.
Quel est donc le but recherché par ce “report” de scrutin ?
Tout d’abord, le report des élections locales constituerait une violation de la Constitution, un point que les discours démagogiques venus de l’opposition omettent largement de mentionner, tout en prétendant pourtant être les plus fidèles défenseur du droit.
Deuxième point, un report des élections afin de permettre aux partis d’opposition d’enregistrer leur candidature à la dernière minute pour participer ensuite au vote n’est tout simplement pas légal, car la Constitution indique clairement que le 30 juin est la dernière date acceptable pour la tenue des élections. En outre, le report des élections entraînerait un conflit juridique majeur, permettant aux maires de prolonger leur mandat au-delà du délai pour lequel ils ont été élus. De plus, violer la Constitution juste pour permettre à deux parties de s’enregistrer au-delà des délais préétablis créerait un précédent dangereux en Albanie et dans toute la région, donnant à la violence politique le droit de modifier les lois par la force et à sa guise.
Mais peut-être plus important encore, il est essentiel que ces « partisans de la démocratie » en Albanie se souviennent que la communauté internationale ne s’intéresse pas aux conflits politiques multipartites, mais à la stabilité politique. La tourmente politique et sociale pourrait compromettre considérablement les chances du pays d’adhérer à l’UE. Là encore, peut-être qu’il s’agit ici de l’objectif inavoué de l’opposition ?
La vague de démission des représentants de l’opposition au parlement marque une action sans précédent et constitue un exemple dangereux pour la démocratie dans ce pays. Peut-être que ce geste apparemment imprudent (associé au boycott des élections du 30 juin) n’est pas si téméraire après tout. Peut-être s’agit-il d’un stratagème minutieusement élaboré visant à créer délibérément le chaos dans le pays et visant à porter atteinte de manière irréversible à son image et à sa crédibilité internationale, afin de garantir que cette situation puisse être exploitée politiquement et produira les résultats souhaités pour une certaine minorité politique.
Les bouleversements sociaux, les vaines tentatives politiques et la dégradation des institutions démocratiques n’aideront en aucune manière l’Albanie. Toute tentative de manipulation des processus démocratiques reste une source de frustration et d’incertitude pour la société albanaise. Instiller le doute dans les esprits est un poison pour toute démocratie, car il sape les fondements du système politique – à savoir la nécessité d’une confiance fondamentale dans la légalité des décisions électorales et le respect des décisions de la majorité. Ces pratiques soulèvent des questions sur le fonctionnement du système démocratique à une époque où celle-ci se heurte à de puissants adversaires. Ne serait-ce donc pas le but de ces démagogues qui se présentant comme des “défenseurs de la démocratie” et qui sapent l’indépendance de l’Albanie et sa stabilité, tout en entravant les perspectives d’avenir du pays dans son cheminement vers l’Union Européenne ? Les dés sont dorénavant jetés.
Par Aleks Dushku
Analyste en Stratégie Internationale
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et n’engagent pas gouvernance.news.
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