Lorsqu’au soir de sa victoire, il est accueilli par ses partisans sur l’air d’une vieille chanson juive « Bibi, roi d’Israël », Binyamin Netanyahou peut être satisfait. Avec 35 députés, son parti, le Likoud, obtient son meilleur score depuis 2003. Avec les autres partis de droite et les ultraorthodoxes, il dispose d’une majorité confortable – 65 sièges sur 120 – pour la formation de son cinquième gouvernement. Celui-ci aura une tâche prioritaire : permettre à son chef d’échapper à la justice. En effet – ce n’est pas là le moindre exploit du Premier ministre sortant -, après 10 ans au pouvoir, il réussit à gagner les élections, en dépit des lourdes charges qui pèsent contre lui dans trois affaires [2]. On attribuera cette nouvelle victoire électorale au savoir-faire de « King Bibi » [3] qui domine la scène politique israélienne depuis longtemps. Mais l’explication est un peu courte. Ce succès sans appel s’inscrit largement dans un contexte idéologique qui dépasse les frontières de l’Etat juif : Binyamin Netanyahou n’a pas hésité a pas à utiliser tous les moyens pour imposer le calendrier, les thèmes et le style d’une campagne qui n’est pas sans rappeler les méthodes et le discours qui ont favorisé l’essor de régimes constituant aujourd’hui une véritable internationale populiste.
« Seulement Bibi » vs « Tout sauf Bibi »
Binyamin Netanyahou en proposant la dissolution de la Knesset en décembre 2018, entend prendre les juges de vitesse : la semaine précédente, le procureur général de l’Etat, Shaï Nitsan, a déclaré avoir terminé son travail et transmis ses conclusions au tout-puissant conseiller juridique du gouvernement, Avichaï Mandeblit, à qui revient la lourde charge d’inculper ou non le Premier ministre.
Le rôle des « affaires »
Une fois la Knesset dissoute et la date des élections fixée au 9 avril, la campagne va être largement tributaire de ce calendrier judiciaire. Binyamin Netanyahou ne pourra empêcher la déclaration du conseiller juridique formulant contre lui les principales charges (abus de confiance, subornation de témoin et corruption) selon les affaires en cause, et son intention de le mettre en examen sur ces bases après une phase d’audition. Mais la transmission des documents à la défense et ladite audition ne devant intervenir qu’après les élections, le Premier ministre sortant peut estimer avoir échappé au pire.
Ces affaires judiciaires incitent l’opposition, ou du moins une partie d’entre elle, à se grouper derrière un ancien chef d’Etat-Major, Benny Gantz, qui réussira à s’allier avec deux de ses anciens collègues, Gaby Ashkénazi et Moshé Yaalon, et surtout à fusionner sa liste avec celle de l’important parti centriste Yesh Atid (Il y a un avenir). L’analyse est limpide : en raison des « affaires », pour la première fois depuis dix ans, le Premier ministre sortant peut être battu. C’est la stratégie « Tout sauf Bibi ». Il s’agit de grouper toutes les forces susceptibles d’y contribuer dans ce « parti des généraux » rassurant pour un public israélien toujours sensible aux questions de sécurité. Le nouveau parti prend le nom de « Bleu et blanc » (les couleurs du drapeau israélien) et réussit son entrée en campagne. Il entend se positionner au centre de l’échiquier politique avec un slogan : « Ni droite, ni gauche, Israël avant tout ». Benny Gantz développe un programme affichant en matière de sécurité une grande fermeté face à l’Iran, au Hamas et au Hezbollah, mais laisse entendre qu’il est favorable à des négociations avec les Palestiniens, sans pour autant prendre position sur la solution à deux Etats. Sur le plan intérieur, il déclare vouloir combattre la vie chère en luttant contre les monopoles, réhabiliter les services publics de la santé et de l’éducation, promouvoir le principe d’égalité en atténuant la « contrainte religieuse » (en autorisant par exemple les transports publics le shabbat dans certaines villes) ou en élargissant l’accès à la gestation pour autrui. Surtout, il entend lutter contre la corruption et défend l’idée d’une gouvernance exemplaire.
Pour sa part, Binyamin Netanyahou se contente de rappeler brièvement son bilan qu’il n’a cessé de survaloriser pendant tout son mandat : une économie dont la croissance est supérieure à la moyenne de l’OCDE avec un taux de chômage à son minimum historique (4%) ; un renforcement de la position internationale d’Israël avec une alliance plus solide que jamais avec les Etats-Unis, le développement des échanges avec les grands pays émergents (Chine, Inde), l’établissement ou le rétablissement de relations diplomatiques avec plusieurs pays africains … Sur le terrain sécuritaire, il peut se prévaloir d’avoir su contrer les offensives iraniennes, notamment en Syrie, en coordination avec la Russie, et d’avoir combattu le Hamas à Gaza, sans pour autant engager une nouvelle guerre. Le message est clair et interprété comme tel par ses partisans : « Seulement Bibi » (est capable de cela). Mais la campagne ne portera guère sur ces thèmes, les questions de fond étant soigneusement évitées : il n’y eut aucun grand débat télévisé entre les dirigeants des principales listes !
Campagne négative
Pour conjurer le danger, le Likoud va resserrer les rangs et reprendre le bon vieux principe selon lequel la meilleure défense est l’attaque. Il s’agit d’abord de consolider le « camp national » : Binyamin Netanyahou incite à l’élargissement du courant national-religieux aux adeptes des thèses racistes et séparatistes du défunt rabbin Meïr Kahana. Il s’engage à composer son gouvernement sur la même base que précédemment : une alliance entre les partis de toute la droite – du centre-droit à l’extrême-droite – et les formations ultra-orthodoxes. Assuré de leur soutien, il va développer toute une série d’attaques contre son principal adversaire en utilisant un moyen privilégié : les réseaux sociaux.
Le Likoud s’emploie d’abord à « démasquer » le positionnement « central » du parti Bleu et blanc en accusant celui-ci d’être un faux-nez de la gauche. En Israël, comme dans nombre de pays occidentaux, le mot « gauche » est devenu une insulte synonyme d’incompétence en économie, de laxisme en matière sécuritaire, de légèreté quant à l’intérêt national … Le Likoud met en exergue les déclarations récentes ou passées de telle ou telle personnalité figurant sur la liste Bleu et blanc pouvant être assimilées à des positions de gauche (en faveur de l’accord sur le nucléaire iranien ou préconisant l’évacuation de certaines colonies par exemple). Il s’agit ensuite de jeter la suspicion sur les garanties sécuritaires apportées par le parti des généraux. Benny Gantz fera ainsi l’objet d’une campagne de discrédit par la révélation très opportune que son téléphone portable a été piraté par les services iraniens : « Un homme qui ne sait même pas protéger son téléphone portable peut-il protéger le pays ? » déclara Binyamin Netanyahou avec son habituel sens des nuances. L’intégrité de l’ancien chef d’Etat-major fut aussi mise en cause lorsqu’un rapport officiel révélera que la start-up qu’il avait dirigée après sa retraite de l’armée avait bénéficié de marchés de la police sans appel d’offres. Le sommet de cette campagne fut atteint lorsque Benny Gantz, après deux interviews ratées, fut accusé de souffrir de déséquilibre mental. Pour y répondre, Bleu et blanc essaya bien de lancer une nouvelle affaire contre Binyamin Netanyaou, à propos de reventes d’actions détenues dans une société d’équipements militaires. Mais cette tactique ‘affaire contre affaire’ ne réussit guère à l’opposition, sauf à entretenir dans l’esprit du public une piètre opinion à l’égard du personnel politique (« tous les mêmes !).
Pour mener sa campagne agressive et très personnalisée, Binyamin Netanyahou bénéficiait d’un avantage quantitatif : en additionnant le nombre de followers sur ses différents comptes (Facebook, Twitter …) ainsi que sur ceux du Likoud ou de ses associations d’admirateurs on aboutit au chiffre impressionnant de 6 millions contre 600 000 pour Benny Gantz et 160 000 pour Yaïr Lapid [4]. Fort de cette supériorité, le Likoud posta toute une série de messages et surtout de petits films vidéo reprenant ses accusations. On notera que cette priorité accordée aux réseaux sociaux fut également adoptée par Donald Trump et Jaïr Bolsonaro pour assurer leur domination dans l’électorat. Ce ne fut pas le moindre emprunt de Binyamin Netanyahou à ses amis de l’Internationale populiste.
Glissements progressifs vers le populisme
Le chef de gouvernement pendant la quasi-totalité de son dernier mandat avait cumulé ses fonctions de Premier ministre avec celles de ministre des Affaires étrangères. Il devait se montrer particulièrement actif dans ce domaine en édifiant un réseau de relations diplomatiques privilégiées avec les régimes populistes.
Un choix stratégique
Binyamin Netanyahou qui a longtemps vécu aux Etats-Unis et parle un anglais parfait, a fort bien analysé l’évolution du rapport de forces à l’échelle planétaire : maintien de la superpuissance américaine, déploiement des ambitions russes, déclin de l’Europe, ascension des grands pays émergents … Il a tiré les conséquences des changements intervenus dans une communauté internationale de moins en moins solidaire. Vis-à vis de l’Union européenne, il n’a pas hésité à jouer de la divergence entre les pays de la « Vieille Europe » à l’ouest du continent et ceux de la « Nouvelle Europe » centrale et orientale [5]. L’évolution de plusieurs de ces nouveaux Etats-membres de l’UE vers des régimes de démocratie ‘illibérale’ n’avait guère été anticipée. Mais le Premier ministre israélien a très vite compris que ces mutations pouvaient diviser l’Union européenne sur sa politique moyen-orientale. En 2017, il s’est rapproché des pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie, République Tchèque) et a participé à l’une de leurs réunions. Pour emporter le soutien de leurs nouveaux alliés, les autorités israéliennes jouent sur plusieurs registres : le registre nationaliste de ces pays très critiques vis-à-vis du « fédéralisme » de l’UE ; le registre économique en proposant de mettre à leur disposition les atouts de la high tech et les nouvelles ressources en gaz d’Israël ; enfin le registre historique en considérant que les gouvernements de ces pays – au passé souvent marqué par une hostilité systématique à l’égard des Juifs – combattent efficacement l’antisémitisme. Une approche plus économique a été utilisée avec les grands pays émergents, Chine, Inde, Brésil, avec le développement des échanges économiques, y compris en matériel militaire. Avec la Russie, les relations ont surtout une dimension stratégique : Moscou laisse l’armée israélienne mener des opérations contre les installations iraniennes en Syrie. Bien entendu, c’est avec les Etats-Unis de Donald Trump que la coordination atteint des sommets : en reconnaissant en 2018 Jérusalem comme capitale d’Israël et en y transférant l’ambassade des Etats-Unis, Donald Trump a puissamment contribué à magnifier la dimension internationale de Binyamin Netanyahou auprès de l’électorat israélien. Deux semaines avant l’élection du 9 avril, le président américain fit un nouveau cadeau à son allié privilégié au Proche-Orient en reconnaissant la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan. D’autres acteurs de l’Internationale ne furent pas en reste. Vladimir Poutine, une semaine avant le scrutin, facilita le rapatriement en Israël du corps d’un soldat tué pendant la première guerre du Liban ; pendant le dernier mandat de Binyamin Netanyahou, nombre de dirigeants populistes s’empressèrent de faire un voyage officiel en Israël : le hongrois Victor Orban et ses collègues du groupe de Visegrad, l’Indien Narendra Modi, le philippin Rodrigo Duterte, l’italien Mattéo Salvini, le brésilien Jaïr Bolsonaro …
Les grands classiques du populisme
Avec ses nouveaux amis de l’Internationale populiste, la droite israélienne a bien des valeurs en partage. D’abord, le nationalisme et ses dérivés : l’hostilité à l’immigration et une défiance systématique vis-à-vis du monde arabe. En Israël, le sommet du nationalisme fut atteint avec l’adoption d’une loi dite sur l’Etat-Nation sans mention du principe d’égalité entre les Juifs et les Arabes qui représentent 21 % de la population. Il faut dire que lors des précédentes élections (2015), un message anti-arabe posté par Binyamin Netanyahou sur sa page Facebook le jour du scrutin avait contribué au redressement de la situation électorale du Likoud : « Le pouvoir de la droite est en danger. Les Arabes se rendent en masse aux urnes par autobus mis à leur disposition par les associations de gauche … » On ne change pas une tactique qui marche. En mars 2019, Binyamin Netanyahou saisit l’occasion offerte par la déclaration d’une actrice et mannequin, Rotem Sela, qui avait écrit sur son compte Instagram : « Quel est le problème avec les Arabes ? Mon Dieu, il y a aussi des citoyens arabes dans ce pays. Quand diable quelqu’un au sein de ce gouvernement va-t-il dire au public qu’Israël est un État de tous ses citoyens et que tous les peuples ont été créés égaux, et que même les Arabes et les Druzes et les LGBT et – c’est un choc – les gens de gauche sont humains. » Le Premier ministre n’hésita pas, en plein Conseil des ministres, à répondre nominativement à Rotem Sela en rappelant les principes posés par la loi sur l’Etat-Nation pour déclarer qu’Israël n’est « pas un État-Nation de tous ses citoyens », mais « l’État-Nation du peuple juif ». Délaissant la théorie pour les travaux pratiques, le leader de la droite ne cessa de rappeler que pour être majoritaire, le bloc de centre-gauche aurait besoin du soutien des partis arabes (13 députés dans la Knesset sortante). Le Likoud en fera l’un de ses principaux slogans – « Bibi ou Tibi » (du nom du principal leader politique arabe, Ahmed Tibi). Le second thème partagé par la droite israélienne avec tous les partis populistes est celui du « peuple » contre les « élites » : les juges, la presse, les intellectuels, les artistes … Au fil des années, la droite israélienne sut imposer ce discours et mena une offensive systématique contre ces éléments présentés comme autant d’ennemis de la judéité de l’Etat. Les interventions de l’exécutif ou du législateur ne furent pas toujours couronnées de succès mais semèrent la discorde : dans le monde des associations (en obligeant celles recevant la majorité de leur budget de gouvernements étrangers à en faire état dans tous leurs documents) ; à l’université (avec un « code éthique » pour les intervenants) ; à l’école (en interdisant les conférences des groupes pacifistes) ; dans l’univers de la création culturelle (en empêchant le financement de projets portant, en autres, « atteinte à la sécurité de l’Etat ») [6]. Les « élites » étant désignées à la vindicte, il ne restait plus qu’à convaincre le « peuple » du bien-fondé de cette politique. La sociologie du pays devait faciliter la réception du message.
La droite sociologique
En Israël, la démographie – les mouvements migratoires comme la croissance naturelle – confère à la droite un avantage considérable. Déjà, en 1977, la droite conquit pour la première fois le pouvoir grâce aux voix des immigrants originaires des pays arabes (les Séfarades) qui reprochaient à la gauche de ne pas avoir tout fait pour les accueillir dans de bonnes conditions, d’avoir dénigré leur culture, leur attachement aux traditions du judaïsme … [7] Plus près de nous, la forte immigration en provenance de l’Union soviétique dans les années quatre-vingt-dix (près d’un million de personnes) a renforcé la droite, les russophones étant dans leur grande majorité très hostiles au monde musulman et conservateurs au plan des mœurs. Les vagues d’immigration plus récentes (celles des années 2000, soit environ 600 000 personnes) ont confirmé la tendance : les originaires de Russie et d’Ukraine partagent les mêmes convictions que leurs prédécesseurs ; les Juifs américains immigrant en Israël appartiennent pour l’essentiel au judaïsme orthodoxe proches du Parti républicain, à la différence de la majorité de leurs coreligionnaires qui, libéraux et proches du Parti démocrate, préfèrent rester aux Etats-Unis ; enfin, les immigrants français, le plus souvent séfarades, inquiets des menaces antisémites dans l’Hexagone, ont le sentiment d’avoir été chassés une deuxième fois de leur pays par des Arabes [8]. La croissance naturelle de la population n’est pas non plus neutre politiquement. Chez les femmes juives, le taux de fertilité de 3,16 en augmentation et désormais supérieur à celui des femmes arabes, traduit le dynamisme démographique de la population religieuse. Dans la communauté ultra-orthodoxe (environ 10 % de la population), les femmes ont en moyenne 6 enfants. Dans les familles sionistes-religieuses (environ 10 % de la population aussi), cette moyenne est de 4, mais de 6 dans celles qui habitent dans les territoires palestiniens. Ces populations penchent naturellement à droite. D’une part en raison des fondamentaux qu’elles partagent avec le Likoud et ses alliés : l’attachement à la tradition, aux valeurs conservatrices, et bien sûr, mezza vocce, une défiance vis-à-vis des Arabes. D’autre part, du fait que nombre de ces Israéliens religieux vivent dans les colonies de l’autre côté de la Ligne verte ou y ont des liens familiaux. Cette évolution explique aussi largement l’avantage dont dispose la droite dans la jeunesse : l’Institut Israélien de la Démocratie réalise chaque année une enquête sur le positionnement des citoyens sur l’échiquier politique : en 2018, les 18/24 ans se déclaraient à 64 % à droite, contre 47 % chez les plus de 34 ans. L’inclinaison à droite d’une jeunesse religieuse en pleine expansion démographique est ici confortée par l’échec du processus de paix : comme dans la chanson, les belles années d’Oslo parlent d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître.
Vote ethnique [9]
Forte de cet avantage sociologique, la droite recueillit le fruit de ses efforts dans toutes les localités religieuses ou comptant une forte population séfarade et/ou russophone. Ainsi, les habitants des localités de la région de Gaza dans le sud d’Israël se plaignaient depuis des années de la politique de Binyamin Netanyahou jugé trop laxiste face aux attaques du Hamas. Mais Sdérot, la ville la plus exposée,a voté à 43,52 % pour le Likoud, le parti russophone Israel Beitenou arrivant en seconde position avec 10,14 %. A Nétivot, à l’est de Gaza, Shas est arrivé en tête dans cette ville groupant de nombreux religieux séfarades avec 33,35 % des voix, juste devant le Likoud (32,46 %). Ashkélon, au nord de la bande a voté à 42,61 % pour le Likoud … Dans la très sainte Jérusalem, le Likoud n’a obtenu que 24 % des voix, mais les partis ultraorthodoxes dominent avec 37 % des suffrages. Comme le Parti travailliste, et son petit concurrent sur sa gauche, Meretz, lors des consultations précédentes, en 2019, le Parti Bleu et blanc ne parvint pas à crever le plafond de verre qui confine depuis 40 ans l’opposition aux métropoles groupant des familles plutôt favorisées, ashkénazes et laïques : Tel-Aviv vota à 46 % pour le Parti Bleu et blanc, à 9 % pour le Parti travailliste et à 9 % pour Meretz. A Haïfa, le Parti Bleu et blanc atteignit le score de 32 %.
Avec ce vote ethnique, la droite s’impose, d’abord avec le triomphe du Likoud, le Parti du premier ministre qui, avec 35 sièges, réussit l’exploit d’améliorer son score de 2015 (30). L’extrême droite sioniste religieuse, en raison de ses divisions ne recueille que 5 mandats, mais deux autres petits partis de droite réussissent à franchir le seuil de représentativité (3,25 % soit un minimum de 4 députés) : le parti Koulanou (droite sociale, 4 sièges) et Israel Beitenou (droite laïque russophone, 5 sièges). Avec 16 sièges, les partis ultraorthodoxes progressent de 3 mandats. L’opposition est désormais dominée par le Parti Bleu et blanc qui en obtenant 35 sièges peut s’enorgueillir d’avoir en moins de trois mois bouleversé le paysage politique israélien. Cette percée se fait au détriment de la gauche qui perd 19 sièges par rapport à la consultation de 2015 et se trouve réduite à 10 sièges (avec 6 pour le Parti travailliste et 4 pour Meretz). Les partis arabes, divisés et enregistrant une moindre participation de leur électorat, perdent trois sièges et n’en comptent plus que 10 dans la nouvelle Knesset. Au total, la gauche, laminée par le succès des partis populistes auprès des classes laborieuses, se situe à son minimum historique, juste au-dessus du seuil de survie.
S’il réussit à faire adopter une loi garantissant une immunité pendant son mandat, Binyamin Netanyahou pourra continuer à gouverner et remercier ses alliés en mettant en œuvre deux de ses engagements : une réduction du rôle de la Cour suprême, et l’annexion des colonies de Cisjordanie. Si ces projets ne pouvaient être menés à bien, l’élection de la XXIème Knesset le 9 avril 2019 aura simplement confirmé les grandes tendances politiques à l’œuvre depuis plusieurs décennies en Israël : une influence de plus en plus grande de la religion sur la politique, et un ancrage à droite de l’électorat. Mais si cette offensive sans précédent contre l’Etat de droit venait à réussir, l’élection du 9 avril 2019 marquerait une rupture : l’entrée officielle de l’Etat juif dans l’Internationale populiste où « King Bibi » compte déjà tant d’amis.
Par Philippe Velilla
Philippe Velilla est né en 1955 à Paris. Docteur en droit, fonctionnaire à la Ville de Paris, puis au ministère français de l’Economie de 1975 à 2015, il a été détaché de 1990 à 1994 auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Il a aussi enseigné l’économie d’Israël à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 1997 à 2001, et le droit européen à La Sorbonne de 2005 à 2015. Il est de retour en Israël depuis cette date. Habitant à Yafo, il consacre son temps à l’enseignement et à l’écriture. Il est l’auteur de “Les Juifs et la droite” (Pascal, 2010), “La République et les tribus” (Buchet-Chastel, 2014), “Génération SOS Racisme” (avec Taly Jaoui, Le Bord de l’Eau, 2015), “Israël et ses conflits” (Le Bord de l’Eau, 2017). Il est régulièrement invité sur I24News, et collabore à plusieurs revues.
Article publié avec l’aimable autorisation de la revue le Journal du Mauss.
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