Les détroits. La géographie de notre planète est ainsi faite qu’il existe des zones côtières, naturelles ou non, qui sont plus stratégiques que d’autres. Sources de convoitise, les détroits en font partie car ils permettent un contrôle aisé des flux de matière les traversant. Ils sont aussi sources de revenus pour les pays qui en sont propriétaires et constituent aujourd’hui de véritables verrous du commerce maritime mondial. Enfin, ces passages sont de puissants leviers de négociations pour les États qui en font usage et qui peuvent dès lors bloquer tout ou partie de l’approvisionnement.

Plus particulièrement, cinq détroits apparaissent aujourd’hui comme clés pour l’énergie et le transport de matières premières : les détroits d’Ormuz et de Malacca ainsi que les canaux de Panama et de Suez (on omet le détroit du Bosphore obéissant à la convention de Montreux établissant le libre passage des navires marchands dans le détroit ainsi que dans celui des Dardanelles). Chacun d’eux a sa spécificité et appelle une discussion sur les enjeux géopolitiques présents et futurs de l’énergie. Comprendre leur fonctionnement, leur environnement et ce qu’implique leur contrôle se révèle dès lors primordial pour qui veut mieux appréhender les grands enjeux énergétiques mondiaux.

La flotte mondiale de transport de marchandises est en constante augmentation depuis la seconde moitié du siècle dernier du fait de l’intensification du trafic maritime et de la généralisation des échanges. De plus, la taille des cargos n’a fait que s’accroître avec le temps, bénéficiant ainsi d’économies d’échelles de plus en plus conséquentes et réduisant d’autant les coûts de transport. L’invention au milieu des années 50 du conteneur, un moyen de transport standardisé et permettant d’acheminer une cargaison importante, a dopé ce trafic. Ainsi, l’Organisation Maritime Internationale (OMI), membre des Nations unies, estime aujourd’hui que « les transports maritimes internationaux assurent environ 80 % du commerce mondial». Ce rythme ne décroit guère avec le temps ; aujourd’hui encore, le trafic mondial continue de progresser en termes de volume transporté comme le souligne le rapport annuel de cette même organisation :

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Volume de marchandises transportées par année en milliards de tonnes

On constate que le trafic a augmenté d’environ 25% en une décennie tout type de marchandises confondu. Comme le souligne l’OMI, la flotte mondiale a augmenté dans les mêmes proportions avec une prédominance pour les vraquiers. La répartition en 2014 se décompose comme suit :

  • vraquiers 12%
  • pétroliers 11%
  • porte-conteneurs 6%
  • navires de charges classique 4%
  • autre type de navire 50%

Ce développement sans précédent apporte sa part d’avantages mais aussi d’inconvénients. Du côté des avantages, notons tout d’abord que les bateaux sont souples d’emploi : ils peuvent aller dans à peu près n’importe quelle région du globe, s’affranchissant des frontières terrestres et élargissant ainsi le marché mondial. Dès lors, la multiplication des liaisons maritimes a apporté une très grande liquidité aux marchés des matières premières avec de nouveaux consommateurs et de nouveaux producteurs. De plus, le droit de libre-circulation des bateaux transportant des marchandises dans les mers territoriales est garanti depuis 1982 par la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer dite Convention de Montego Bay. Elle n’est  entrée  en vigueur qu’en 1994 (à ce jour, les États-Unis, avec d’autres pays telle que la Turquie ne l’ont pas ratifié). Cependant, il convient aussi de noter que cet accroissement du trafic va de pair avec une augmentation des risques d’accidents et notamment de marées noires qui coûtent si chère au portefeuille des compagnies mais aussi à leur image de marque. De plus, les bateaux et leurs cargaisons, comme souligné plus haut, sont à présent de grande valeur et très convoités ce qui a augmenté le nombre d’actes de piraterie dans certaines régions du globe.

Si un dixième de la flotte mondiale sert au transport du pétrole, il apparaît intéressant de constater l’évolution de la flotte de pétroliers et, dans un second temps, de celle des gaziers :

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La flotte mondiale de pétroliers a suivi, après 2011, la même course que les prix du brut qui ont remonté progressivement, traduisant le retour de la confiance des compagnies maritimes dans l’or noir. Notons au passage que l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) anticipe, dans son Oil Market Report, une demande future croissante au rythme de 1,5 millions de barils supplémentaires par jour. Sans pouvoir prévoir pour autant l’évolution des prix, mais en supposant que ceux-ci restent élevés après les récents accords OPEP/Non-OPEP, il y a fort à parier que la flotte mondiale devrait s’accroître dans les années à venir.

Tournons-nous à présent vers la flotte des gaziers dans le monde :

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Cette tendance haussière n’est pas nouvelle et confirme tout l’intérêt que les pays portent depuis de nombreuses années à la ressource tant gazière que pétrolière pour son rôle stratégique dans le développement des économies. En particulier le gaz jouit actuellement d’une aura nouvelle pour son utilité dans la lutte contre le réchauffement climatique, sa combustion émettant moins de gaz à effet de serre que celle du charbon. La tendance à la hausse ne devrait donc que se confirmer dans un futur proche.

Essayons à présent de caractériser succinctement la situation de chacun de ces détroits ainsi que le rôle qu’ils jouent dans le transport de matière première :

  • Le détroit de Malacca est une véritable porte stratégique pour l’approvisionnement de la Chine, du Japon et de l’Asie en général en gaz et en pétrole en provenance du Moyen-Orient ; il existe de plus des projets de contournement et notamment via les détroits de la Sonde et de Lombok,
  • Le canal de Suez est un cordon ombilical historique pétrolier et gazier entre l’Orient et l’Europe ; le canal a été doublé et ouvert à la navigation en 2015,
  • Le détroit d’Ormuz est la porte d’entrée vers les pays du Golfe et leurs ressources en hydrocarbure,
  • Le détroit de Panama est un couloir historique de transport ; il est appelé à devenir une zone d’intérêt avec l’exportation du gaz américain vers l’Asie ou l’Amérique du Sud.

De fait, l’Energy Information Administration (EIA), l’entité américaine en charge de la publication des statistiques relatives à l’énergie, estimait ainsi, en 2015, que 58,9 % de la production mondiale de pétrole passait par ces détroits (cap de Bonne Espérance, détroits du Danemark, d’Ormuz et de Bab el-Mandab compris.)

L’augmentation du trafic a aussi apporté avec lui son lot d’actes malveillants, un sommet ayant été atteint avec les actes de pirateries perpétrés entre 2000 et 2010 dans le détroit de Bab El-Mandab non loin de la Somalie et la capture en 2008 du Sirius Star, pétrolier d’une capacité de deux millions de barils. Comprenant les enjeux de tels actes sur l’économie et la stabilité de la région, L’Union européenne (via l’Opération Atalante) et les Etats-Unis, sous l’égide des Nations Unies (résolution 1816 du 2 juin 2008) et avec l’accord de la Somalie, interviendront dans la zone pour rétablir l’ordre. Mais ce phénomène de piraterie n’est ni nouveau ni localisé dans cette partie de l’Afrique. En effet, l’Asie du Sud-est, et en particulier le détroit de Malacca, reste aussi une zone de danger pour les navires s’y aventurant avec leur cargaison : il concentre aujourd’hui encore 42% de la piraterie mondiale. Celle-ci était pourtant en 2017 à son plus bas niveau depuis 22 ans avec 180 actes recensés par le Bureau Maritime International (BMI).

Ces appâts financiers appellent nécessairement à la sécurisation des voies maritimes pour empêcher que ne se produise une seconde fois ce qui arriva dans la corne de l’Afrique il y a une dizaine d’années. Historiquement, il faut remonter à 1945 et à ce que certains historiens ont appelé « le pacte du Quincy » pour voir apparaître les premiers accords interétatiques visant à sécuriser les approvisionnements en pétrole : à quelques mois de la fin de la seconde guerre mondiale et au retour de la conférence de Yalta, le président américain Franklin Roosevelt et le roi Ibn Saoud, fondateur du royaume d’Arabie saoudite, se rencontrent à bord du croiseur USS Quincy. Ils y discutent alors les règles valables pour 60 ans qui garantissent à l’un un approvisionnement continu en pétrole et à l’autre une stabilité régionale doublée d’une sécurisation des convois d’or noir en route vers les Etats-Unis. Bien que contestée par certains, la véracité de cette anecdote importe peu ; depuis cette date, et en parallèle des évènements historiques de la guerre froide et de la constitution de l’OTAN, les États-Unis sont devenus les gardiens du transport d’une ressource qu’ils utilisent en abondance.

À l’image des Etats-Unis, nouer des partenariats avec les propriétaires des détroits est donc devenu clé pour s’assurer un transport continu.

Par Martin Laplane, diplômé de l’IFP School (École nationale supérieure du pétrole et des moteurs)

Article initialement publié par Mercoeur

retrouvez l’article original ici.

 

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