Harriet Beecher Stowe imaginait-elle en 1852, lorsqu’elle a écrit son roman La case de l’oncle Tom, que son histoire agirait tel un déclencheur et contribuerait à abolir l’esclavage en Amérique ?

En pleine guerre de Sécession, Abraham Lincoln a rencontré l’auteure et lui a dit cette phrase devenue célèbre : « Ainsi vous êtes le petit bout de femme qui a écrit le livre à l’origine de cette grande guerre. » La case de l’oncle Tom était le roman le plus vendu au 19ème siècle, et les chercheurs américains et européens s’accordent à dire qu’il a joué un rôle déterminant dans la remise en question des croyances de longue date liées à l’esclavage.

La case de l’oncle Tom n’est pas la seule histoire à avoir eu un impact sur des événements internationaux : toutes les grandes religions du monde sont basées sur des récits qui ont façonné l’Histoire et influencé à peu près tous les aspects du comportement humain.

Depuis quelques années, on assiste à une gamme incroyable d’initiatives qui reconnaissent la puissance de l’utilisation délibérée de la narration pour éduquer et influencer le comportement des gens de manière positive.

Un très bon exemple est celui de Sesame Street, la série télévisée lancée en 1969 qui utilisait des histoires avec pour but précis d’éduquer et d’influencer les jeunes enfants. Elmo, Big Bird et Macaron le glouton continuent de captiver, influencer et éduquer plus de 170 millions d’enfants dans 140 pays.

Lorsque les créateurs de Sesame Street ont voulu aider les enfants à apprendre à faire attention et à contrôler leurs impulsions, ils ont décidé de donner l’exemple avec Macaron – le personnage qui ne peut pas résister aux cookies. Ils se sont rendu compte que les enfants avaient besoin de voir quelqu’un affronter les mêmes problèmes que les leurs et essayer de multiples techniques pour les surmonter. Dans un récent épisode, inspiré des films de Karate Kid, Macaron a besoin de trois essais pour apprendre un mouvement spécial de son Sensei. Il parvient finalement à écouter avec son corps tout entier et, en récompense, gagne une ceinture de biscuits… qu’il mange.

 

Ce succès repose sur une formule simple, affirme Jennifer Kotler Clarke, responsable de la recherche à Sesame Street : éduquer via le divertissement, en exploitant le pouvoir du récit humain:

« La narration est essentielle. Si vous faites passer les informations grâce à la narration, les enfants sont plus susceptibles d’apprendre. Et les adultes aussi. »

La recherche suggère que les enfants qui regardent Sesame Street obtiennent en moyenne un taux de réussite scolaire 11 % supérieur à ceux qui ne le font pas.

En 2005, les 104 épisodes du feuilleton radiophonique Chuyen Que Minh (ou Histoire de ma Patrie), une initiative de l’Institut international de recherche sur le riz, ont convaincu des millions de riziculteurs au Vietnam d’arrêter de pulvériser leurs cultures. Les agriculteurs qui suivaient le feuilleton étaient 31 % moins susceptibles de pulvériser leurs cultures que ceux qui ne l’écoutaient pas.

Pourquoi une histoire bien racontée a-t-elle le pouvoir de changer notre compréhension et notre comportement ?

Même dans le domaine de la technologie et des affaires, les gens commencent à comprendre qu’une bonne histoire a le pouvoir de façonner les lieux de travail et les marchés. Ils s’éloignent des Powerpoint et utilisent des récits pour inspirer et informer. Steve Denning, responsable de la gestion des talents à la Banque mondiale, a déclaré : « Quand il s’agit d’inspirer les gens pour qu’ils adoptent une vision ou un changement de comportement, la narration n’est pas seulement meilleure que les autres outils, elle est la seule chose qui fonctionne. »

Il existe également des explications neurologiques fascinantes derrière le pouvoir des histoires. La science commence à découvrir ce qui se passe dans notre cerveau lorsque nous entendons un bon récit. En 2006, des chercheurs en Espagne ont découvert que lorsqu’on nous raconte des histoires passionnantes, plusieurs zones différentes s’allument dans notre cerveau. Par exemple, si une scène de ballet est magnifiquement décrite dans un roman, les zones responsables de la vue et du mouvement de nos cerveaux réagissent (même chez ceux d’entre nous qui ne savent pas danser). Quand un parfum, tel que le jasmin, est décrit, la zone qui contrôle notre odorat s’allume. En bref, notre cerveau tout entier peut vivre une expérience émotionnelle, plutôt que la minuscule parenthèse provoquée lorsque nous sommes exposés à des faits.

D’un point de vue sociologique, il a été démontré que les histoires établissent ou renforcent les normes sociales qui viennent appuyer le comportement mis en avant. Si les personnages font des choix alimentaires sains ou appliquent de la crème solaire, cela peut donner l’impression que c’est ce que font les gens et que l’auditeur devrait le faire aussi.

En Afrique du Sud, la série de longue date Soul Buddyz, diffusée à la télévision, à la radio et dans la presse écrite, reflète de près les vies, les luttes et les joies d’enfants âgés de 8 à 12 ans. Elle était si populaire que des milliers d’enfants ont demandé à y participer. En conséquence, le Soul City Institute a établi des clubs Buddyz. Actuellement, on compte 8 642 de ces clubs, accueillant près de 150 000 enfants et dédiés à l’éducation et au bien-être des plus jeunes.

Aujourd’hui, il existe un ensemble de preuves convaincantes qui soutiennent l’idée que, avec la recherche et la base théorique adéquates, les médias basés sur la narration peuvent changer les normes sociales, les valeurs et les croyances plus efficacement que les messages traditionnels basés sur les faits. Ce qui est encore plus excitant, c’est que grâce à la technologie numérique, des histoires fascinantes sont accessibles à des millions de personnes à des coûts de plus en plus bas.

Tout comme La case de l’oncle Tom a été l’étincelle qui conduisit à l’abolition de l’esclavage, les histoires peuvent être utilisées de différentes façons pour améliorer notre monde.

Plus d’informations sur la narration pour le bien social et sur ses praticiens peuvent être obtenues auprès de la Communication Initiative, un réseau et une plate-forme de connaissances internationaux pour la communication en vue du changement social.

 

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