Au cours des deux dernières années et demie, j’ai probablement examiné plus d’exemples d’innovation gouvernementale que quiconque au monde.

Je n’exagère pas. En effet, j’ai écrit plus d’une centaine de briefings hebdomadaires sur le sujet pour Apolitical et j’ai personnellement compilé des archives comprenant des milliers de projets (dont beaucoup ont été recueillis dans notre fil d’actualité sur l’innovation gouvernementale).

Pendant cette période, je me suis demandé pourquoi certaines bonnes idées fonctionnaient alors que d’autres non et pourquoi certains pays semblaient tellement mieux gouverner que d’autres.

Pourquoi les américaines sont-elles 10 fois plus susceptibles de contracter le VPH, qui peut causer le cancer du col de l’utérus, que les australiennes ? Pourquoi les écoles en Islande ou en Israël ont-elles des résultats tellement moins bons dans l’enseignement des mathématiques que celles de Singapour ou de Finlande ? Et pour prendre un exemple de pays moins riches, la différence entre le nombre de femmes qui meurent en couches au Nigeria par rapport à l’Éthiopie ou la Gambie se chiffre en dizaines de milliers. Pourquoi ?

Lors de ces comparaisons, ce sont généralement les États-Unis qui font profil bas. Pour de nombreux indicateurs, des inégalités dans l’éducation aux droits de propriété en passant par les décès dus à des maladies transmissibles qui auraient pu être évités, les États-Unis s’en sortent moins bien que des pays ayant un budget similaire par personne. L’exemple le plus frappant est peut-être celui du taux de décès sur la route : si les États-Unis étaient capables de fournir des routes aussi sûres que celles du Danemark, il y aurait environ 22 000 personnes de moins tuées chaque année.

Tous les gouvernements ont leurs points forts et leurs points faibles, mais cela s’applique moins aux autres domaines. Un Android peut faire à peu près les mêmes choses qu’un iPhone, par exemple, alors pourquoi le gouvernement, le système d’exploitation de nos sociétés, est-il si différent ?

Pourquoi certaines bonnes idées sont concluantes – et d’autres non ?

Bien sûr, certaines idées sont meilleures que d’autres, mais la meilleure idée au monde peut être anéantie par un évènement complètement extérieur – une récession, un scandale, une élection. Dans les milliers de projets que j’ai examinés, j’ai constaté que le succès est généralement attribuable aux personnes impliquées.

En matière de solutions ou d’améliorations, il existe souvent une présomption technocratique selon laquelle les sociétés ou le gouvernement ne sont que des machines extraordinairement complexes : faites l’ajustement nécessaire, collez le bon code et c’est parti ! En réalité, c’est tout le contraire : les bonnes idées peuvent être mises sur pause pendant des décennies avant de prendre leur envol… quand elles le prennent. Les systèmes de consignation par bouteille, par exemple, existent depuis au moins 1970 et en Allemagne, 99 % des bouteilles en plastique sont recyclées en conséquence. Pourtant, 39 États américains (encore eux) n’ont aucun système et le Royaume-Uni vient à peine de décider d’en tester un.

Les solutions que recherchent les décideurs politiques ont souvent déjà été inventées ailleurs (et Apolitical est là pour combler ce fossé), mais une idée reste éphémère sans la bonne personne pour la concrétiser.

Qui peut transformer les idées en faits ?

En mettant au point ces archives, j’ai parlé avec des personnes d’une volonté quasi surhumaine. Ruth Carnall a radicalement amélioré le traitement des AVC à Londres en consolidant des douzaines d’unités de prise en charge d’AVC inférieures aux normes pour en faire huit unités excellentes et, chaque année, une centaine de Londoniens survivent à ces attaques grâce à cela.

Bien sûr, la décision de fermer des hôpitaux, totalement ou en partie, n’a pas reçu un très bon accueil et la lutte aura duré neuf ans entre la date à laquelle l’équipe de Carnall a commencé la planification et le moment où les résultats ont justifié ce changement. Carnall a reçu le titre de Dame et le docteur qui a fait les recherches nécessaires, Ara Darzi, celui de Lord.

Mais il n’y ait pas une personne, pas même Ruth Carnall, qui puisse faire quoi que ce soit quand les vents dominants sont dirigés contre elle. J’ai remarqué à maintes reprises que les découvertes capitales et les transformations importantes surviennent souvent lorsque, pour une raison ou une autre, on assiste à un nouveau souffle sur lequel peuvent s’appuyer les précurseurs.

La question des mers, des océans et des plages pollués par le plastique connaît depuis peu un nouveau souffle

La question des mers, des océans et des plages pollués par le plastique connaît depuis peu un nouveau souffle. Image: Image : REUTERS/Johannes P. Christo

Par exemple, la raison principale pour laquelle le Royaume-Uni a soudainement acclamé l’idée d’un système de dépôt de bouteilles est que David Attenborough, monstre sacré national, a mis l’accent sur la pollution plastique dans l’émission très populaire Blue Planet II. Ce soir-là, des millions de Britanniques ont voulu savoir ce qui était fait à ce propos.

Ajoutez à cela le succès récent d’une taxe sur les sacs en plastique et une idée passée à la trappe depuis un demi-siècle fait la une des journaux.

Personne n’est surhumain

Je pense que pour bien comprendre la relation entre un décideur politique et les conditions prédominantes, il faut la comparer au rapport entre un capitaine de navire et la météo.

Si les vents sont de son côté, même un mauvais capitaine peut rentrer au port en toute sécurité ; si la tempête est trop violente, même le capitaine le plus aguerri verra son bateau couler. Pour cette raison, le plus important pour faire en sorte qu’une bonne idée fonctionne est de choisir son moment – ou d’avoir assez de renfort pour se laisser porter par les flots.

Mais entre les deux extrêmes du succès assuré et de l’échec inévitable, plus le capitaine est doué, plus il aura de chances de s’en sortir. Ainsi, je crois sincèrement que pour améliorer les gouvernements, il faut aider les fonctionnaires à devenir plus efficaces, ce qui signifie : plus de soutien, plus d’argent, plus de temps, plus de formation et une plus grande confiance.

Pourquoi certains gouvernements sont-ils meilleurs que d’autres ?

Il est important de noter que dans les exemples cités au début de cet article, pour certains pays dont les résultats étaient moins bons que d’autres, d’un point de vue social, malgré des montants similaires, je parlais du PIB de ces pays et non de leurs dépenses gouvernementales.

Par exemple, aux États-Unis, pays tant décrié, le gouvernement dépense moins, en pourcentage du PIB, que presque tous les autres pays développés.

Dans l’OCDE, les seuls pays qui dépensent moins sont, par ordre décroissant : l’Australie, la Lituanie, la Russie, la Suisse, le Costa Rica, la Corée du Sud, l’Irlande et la Colombie. Selon les derniers chiffres disponibles, en 2015, le gouvernement des USA a dépensé 37,6 % du PIB ; en Finlande, la dépense s’élevait à 57,1 %, en France à 56,7 %, au Danemark à 54,8 %.

Bien sûr, la question de l’efficacité avec laquelle l’argent est dépensé est à prendre en compte, mais ces chiffres suggèrent que la première chose que les États-Unis devraient faire pour améliorer l’éducation, la sécurité publique et une infrastructure chancelante, est d’augmenter les impôts.

Ensuite, je ne cesse de remarquer que les capitaines sont plus à même de diriger leurs navires quand on leur fait confiance. Chez Apolitical, nous avons récemment interrogé quelques centaines de fonctionnaires sur ce qui les freinait le plus et, d’une voix presque unanime, ils ont répondu un management restrictif. La bureaucratie est réelle et les principales personnes qu’elle ralentit sont les bureaucrates.

L’obsession des gouvernements pour les systèmes repose sur le refus de faire confiance aux actions et aux décisions des individus. Le besoin de tout justifier et de tout approuver étouffe dans l’œuf nombre de bonnes idées. Faire confiance aux fonctionnaires, les autoriser à prendre des décisions, tout en les soutenant, les rend meilleurs dans leur travail, ce qui améliore le gouvernement en conséquence.

L’effondrement de la confiance

De bonnes raisons expliquent l’effondrement récent et bien connu de la confiance dans le gouvernement. Dans les pays développés, les gouvernements n’ont pas réussi à améliorer le niveau de vie d’une grande partie de leur population au cours des 20 dernières années.

Pendant ce temps, le système politique américain se retrouve pratiquement sans défense face aux intérêts des entreprises, la zone euro a enfermé de nombreux membres dans une stagnation économique, et l’on ne cesse d’assister aux scandales et aux échecs habituels.

Mais il s’agit là d’un cercle vicieux : une confiance ébranlée ne fait qu’aggraver le gouvernement, ce qui à son tour sape davantage la confiance. La seule façon de faire de nos sociétés des endroits où il fait bon vivre est de sortir de ce cycle et d’accorder sa confiance au gouvernement.

Oui, certains fonctionnaires sont paresseux, d’autres sont corrompus et beaucoup ont développé une sorte de syndrome de Stockholm en ce qui concerne le respect des règles et des systèmes. Mais si nous ne leur accordons pas plus d’aide et d’encouragements, nos sociétés dériveront sans but, à la merci de forces indépendantes de notre volonté.

Par : Alexander Starritt, Editor, Apolitical

En collaboration avec le WORLD ECONOMIC FORUM

https://www.weforum.org

Retrouvez l’article original ici.

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