Interview de Joachim Murat sur le projet Aadhaar en Inde

Joachim Murat, ancien Directeur de la société Morpho (IDEMIA) en Inde de 2009 à 2014, nous éclaire sur le projet  Aadhaar, le plus grand programme d’identité numérique au monde. Démarré en septembre 2010, il a réussi à atteindre en à peine 6 ans, le nombre d’un milliard d’identités digitales créées. (Voir la vidéo de l’entretien)

Rappelons, que Morpho ex groupe Safran, se nomme aujourd’hui IDEMIA et fait partie du groupe Oberthur Technologies . Morpho fut partenaire du gouvernement indien pour la mise en œuvre de ce projet gigantesque comparé dans sa dimension à la conquête de la Lune menée par la NASA.

Gouvernance : A quels défis en Inde répond le projet Aadhaar?

Joachim Murat : L’inde faisait face à deux défis majeurs :

  • La lutte contre l’extrême pauvreté 

Jusqu’en 2010, 100 millions d’indiens n’étaient pas recensées par l’Etat civil et plus de 75% de la population n’était pas bancarisée, dont 500 millions dans les zones rurales. Pourtant, cette frange défavorisée de la population bénéficiait d’une multitude de programmes d’aides sociales : 60 milliards de dollar sont distribués chaque année aux plus pauvres.

80% de ces subventions, étant distribuées en cash, étaient détournées : En effet, cette méthode de distribution archaïque  permettait à certains agents public de détourner des sommes importantes et à certains citoyens de frauder et percevoir plusieurs fois la même subvention.

De plus, le traitement des subventions était extrêmement couteux, en partie à cause du nombre d’agents dédiés à la distribution.

Par ailleurs, le fait de ne pas être bancarisé, permettait aux personnes pratiquant des activités commerciales principalement en cash, d’échapper à l’imposition. Ce qui avait pour effet d’appauvrir les assiettes fiscales de l’administration et par ricochet, de réduire l’investissement dans les infrastructures bénéficiant à l’ensemble des citoyens.

Enfin, l’Inde brillait par la lenteur et la corruption dans ses services publics pour l’obtention de papiers administratifs ; ceux qui n’avaient pas les moyens de payer un « bakchich » se voyaient injustement blackboulés.

  • La sécurité

Deux types de menaces sécuritaires inquiètent sérieusement les autorités indiennes : les menaces extérieures comme le conflit du Carguil et les menaces intérieures comme le terrorisme Naxalite; rappelons qu’en en 2009, l’Inde était au bord de la guerre civile pour lutter contre l’insurrection du « mouvement maoïste » contre le gouvernement.

Gouvernance : En quoi consiste le projet Aadhaar?

Joachim Murat : Pour permettre de répondre aux enjeux mentionnés, l’Etat comme les experts était unanimement d’accord que la clé est « l’identification ». Le fait de pouvoir identifier les habitant permet aux autorités de lutter plus efficacement contre le terrorisme et surtout permet aux citoyens de bénéficier plus justement des subventions de l’Etat en étant reconnus et bancarisés.

Puisque sans identité, pas de compte en banque et sans compte en banque, pas de subvention versée, il était donc urgent de recenser la population et d’octroyer à chacun son droit le plus légitime : Une identité.

Le choix s’est porté sur la solution proposée par Nandal Nilekani , le fondateur et Président du géant des services informatiques le groupe Infosys.

Dans son ouvrage « Imagining India » il propose pour combattre le pauvreté et l’insécurité, une base d’identification sécurisée qui s’appelle « Aadhaar » (du nom hindi signifiant « base » ou « Fondation »). Cette base de données sécurisée serait basée sur les informations biométriques de chaque citoyen.

Suivant cette idée, le gouvernement indien, à travers l’UIDAI (Unique Identification Authority of India), a lancé le plus ambitieux programme d’identité numérique au monde basé sur la multibiométrie :

En attribuant à chaque résident indien un numéro d’identification unique à douze chiffres, associé à trois de ses données biométriques (empreintes digitales, iris et visage), le programme Aadhaar permet à tous d’accéder au droit fondamental de sa reconnaissance par le gouvernement indien. Cette identité ouvre également un accès à des services illimités ; aides sociales, soins médicaux, services bancaires, etc.

Gouvernance : Quels sont les apports bénéfiques du projet à l’Etat comme à la population?

Joachim Murat : Les bénéfices de ce projets sont énormes tant sur le plan social, économique ou sécuritaire. De plus le retour sur investissement est incontestable : le projet aura couté que l’équivalent de 1 USD par habitant.

Parmi ces bénéfices je site :

  • La « Droit à l’existence » d’une tranche de la population à travers la reconnaissance par l’Etat Civil Indien
  • L’accès des citoyens à tous les droits sociaux et médicaux auxquels ils ouvrent droit
  • La bancarisation des populations, ce qui facilite l ‘épargne des ménages
  • Faciliter, fluidifier et sécuriser les transactions et les paiements (Electricité, Téléphonie/Internet, transfert bancaire…)
  • L’accessibilité aux services bancaires (virement, dépôt, retrait) dans les zones rurales à travers la « Banque itinérante »
  • La réduction de la corruption dans les services publics lors de demandes de papiers administratifs
  • La limitation de la fraude aux subventions en distribuant les aides via versement automatique direct sur les comptes bancaires des citoyens.
  • La réduction des coûts des structures de traitement des aides par le versement automatique
  • L’encouragement de l’entreprenariat et création d’emplois grâce aux appels d’offre de l’Etat qui externalise les « Agences d’enroulement » chargées d’enregistrer les populations.
  • Une meilleure perception des impôts et taxes grâce à la traçabilité des transactions financières >> Retombées positives sur le financement des infrastructures et autres services publics.
  • Sécurisation de la propriété privée
  • Facilitation du Micro-crédit et de la micro-assurance
  • Explosion du E-Commerce, ce qui permet des échanges commerciaux avec le monde entier
  • Favoriser l’écosystème des start-up qui développent des applications nouvelles : A partir de ce système, les applications sont multiples: Elections, santé, suivi de la scolarité…etc

Propos recueillis par Yasmine BRIKI,

Gouvernance Think Tank Magazine

 

Share: