Quel est le point commun entre Saddam Hussein, Staline et Pinochet ? Les trois furent des dictateurs, et les trois portaient la moustache ! De là à y voir une corrélation entre la moustache et l’amour du pouvoir, il n’y a qu’un pas, se pourrait-il alors que la moustache exerce un attrait sur les dictateurs ?

La pilosité masculine est depuis la nuit des temps un marqueur social, la présence ou l’absence de la moustache est souvent conditionnée par le contexte géo-historique et social ; elle n’est cependant pas qu’ un simple ornement de mode codifié par les tendances du moment, elle peut être un important signe distinctif.

Brève histoire de la moustache

La pilosité faciale masculine n’a pas eu le même traitement selon les lieux et les époques ; il était de bon ton à de Rome et dans la Grèce antique de se raser la barbe et la moustache par opposition aux peuplades barbares et aux esclaves, c’était une manière visible d’exprimer son appartenance à la « civilisation », en revanche, les philosophes antiques portaient la barbe, symbole de sagesse. Dans l’Égypte ancienne, la barbe était un attribut du pouvoir et de la force, seuls les prêtres, les dieux et les pharaons avaient le droit de la porter.

Couronné empereur des Francs en 800, Charlemagne tente d’imposer le port des moustaches à ses sujets, mais la moustaches touffue n’est guère pratique, et s’affine avec le temps, elle disparaîtra à la Révolution, à l’époque, le rasage intégral était de rigueur pour ceux qui ne souhaitaient pas finir guillotinés.

Ce n’est qu’ au cours du XIXe siècle que la moustache ressurgit en France, plusieurs décrets la rendent obligatoire aux armées et dans la gendarmerie. Néanmoins, c’est au vingtième siècle qu’elle connaît son apogée, il était alors impensable qu’on homme qui se respecte n’arbore pas la moustache, c’était un signe de virilité et de puissance ; on en prend soin, on la taille, la parfume et on lui fait prendre des formes particulières et variées, elle peut être frisée, pointue, fournie, clairsemée, jusque dans les années 20, il était de bon goût d’utiliser de la cire à moustache, pour obtenir des formes de guidon.

Dans la nouvelle La Moustache1 de Guy de Maupassant, l’auteur fait parler une narratrice dont le mari s’est rasé la moustache, elle dit :

« Vraiment un homme sans moustache n’est plus un homme(…)la moustache est indispensable à une physionomie virile. Non, jamais tu ne pourrais imaginer comme cette petite brosse de poils sur la lèvre est utile à l’œil (…) une lèvre sans moustache est nue comme un corps sans vêtements ; il faut toujours des vêtements, très peu si tu veux, mais il en faut ! »

La moustache, toute une symbolique !

Ainsi, en France, la moustache était un attribut de séduction, elle symbolisait l’autorité, la force et la virilité, ailleurs, dans les pays du sud ou du Moyen-Orient, elle est intimement liée à l’honneur, un homme déshonoré n’est plus digne de la porter.

En Turquie, elle a longtemps indiqué l’orientation politique de son possesseur, les nationalistes la portaient en forme de pointe, la moustache des gauchistes était plus fournie et couvrait entièrement la lèvre supérieure, inspirée sans doute de celle de Staline, aujourd’hui cet attribut est si important que les spécialistes dédiés aux implants de moustache et de barbe fleurissent en Turquie, en 2015, à Istanbul, on dénombrait plus de 250 chirurgiens spécialisés dans la repousse du poil.

En psychologie, la moustache signifie le rapport à l’autorité, elle renvoie au statut du patriarche, du gendarme du savant, ou du maître, elle est essentiellement associée à une figure paternaliste, à partir de là, on peut avancer qu’ un dictateur ou un despote marque davantage les esprits, et impressionne d’une manière plus efficace, s’il est doté d’une moustache, essayez d’imaginer Staline rasé, le résultat serait peu probant…

Quoi qu’il en soit, la domination masculine semble être liée à la pilosité, l ’idée que les hommes de pouvoir et les despotes soient moustachus est ancrée dans l’inconscient collectif, et dans nos représentations mentales, qu’il s’agisse de littérature, de cinéma (qui ne connaît pas le Dictateur de Chaplin?), et même de jeux vidéos, les méchants et les tyrans la portent souvent : Dans le roman 1984 de Georges Orwell, Big Brother avait une épaisse moustache (clin d’œil à Staline?), dans Ubu Roi, d’Alfred Jarry, le despote éponyme porte une moustache en forme d’accent circonflexe, dans Les Aventures de Tintin, Le maréchal Plekszy-Gladz, dictateur emblématique de la Bordurie, porte une grosse moustache, elle est le symbole de sa puissance, d’ailleurs, la moustache est graphiquement très présente en Bordurie, que ce soit dans les poignées de portes, les logos ou les calandres d’automobiles, même les partisans du maréchal sont appelés les « Moustachistes ».

Dans les jeu vidéo Sonic, le professeur Robtnik, est un savant fou qui tente de conquérir le monde en asservissant la population grâce à la robotisation, et bien entendu, il est doté d’ une énorme moustache.

Pour rester dans les jeux vidéos, le créateur du moustachu Marios Bros,, Shigeru Miyamoto, admet que le personnage fut inspiré de Staline : « Il fallait créer un héros que l’on arrive à distinguer, malgré sa petite taille. Nous avons alors pensé à une grande moustache et une casquette. Cela nous a évoqué un personnage fort, donc nous sommes partis dans la direction d’un homme politique. À l’époque, qui disait personnage politique disait Staline. »

Attention, pas d’amalgames !

Que l’on soit bien d’accord, tous les despotes ne portent pas systématiquement la moustache, et tous les moustachus ne sont pas forcément des despotes, comment expliquer sinon qu’un Caligula, un Ceaușescu, ou que les Kim Jong, grand-père, fils, et petit-fils, soient complètement glabres ?

Selon un article paru sur Slate, sur 147 dictateurs répertoriés sur la période des deux derniers siècles, seulement 64 d’entre eux avaient la moustache, soit un taux d’environ 42 %, en revanche sur les 19 chefs d’État autoritaires encore actifs, 15 sont moustachus, soit une proportion de 79%, les chiffres sont éloquents, la moustache n’a jamais été aussi tendance chez les dictateurs modernes !

Par Nesrine Briki

1La Moustache, tiré du recueil Boule de suif P,65, Guy de Maupassant, Éditions Maxi-Poche.

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