En collaboration avec le collectif Mercoeur, nous vous proposons de découvrir la seconde partie du dossier consacré à l’Arctique; il sera ici question des enjeux économiques et géostratégiques en cas de réchauffement climatique.

La première conséquence de la fonte de la banquise est naturellement l’ouverture de nouvelles voies navigables et donc une probable future intensification du trafic maritime dans la zone.

Les nouvelles voies maritimes

Et les enjeux sont de taille : par exemple, le trajet Londres-Vladivostok totalise environ 11 000 milles via le canal de Suez, mais cette distance tombe à 7 670 milles en passant par le détroit de Béring, une réduction de près de 30%. Notons au passage que le canal de Suez étant contourné, ce sont autant de taxes et de risques liés à cette région qui sont évités. Le pendant de ce trajet plus court comporte en revanche des icebergs qu’il faut éviter de heurter, des températures  polaires à affronter et des bateaux plus résistants, donc plus coûteux à l’achat et à l’entretient.

De plus, l’accès à de plus importantes ressources halieutiques, parfois au détriment de la population inuit locale totalement oubliée au milieu de ces grands mouvements géopolitiques, est aussi un enjeu commercial important à l’heure des quotas de pêche et de la raréfaction de la ressource. En s’équipant de bateaux performants et capables d’affronter des environnements hostiles, les compagnies de pêche entendent bien profiter de cette manne future.

Pour se protéger en partie de la convoitise des ces industriels, le Conseil de l’Arctique fut créé en 1996. Ce forum a pour but de promouvoir le développement durable dans la région Arctique et de veiller au respect de la nature ainsi que des populations autochtones. Composé des huit pays ayant des frontières en Arctique (Suède et Norvège mis à part), il voit son rôle devenir de plus en plus important au milieu de tous les bouleversements climatiques et des conséquences associées.

 

Les infrastructures militaires

Du point de vue militaire, l’ouverture de nouveaux espaces permet à la plupart des navires de guerres d’être plus proches des bases de leurs ennemis respectifs : les Russes des Américains notamment et réciproquement. Comme le précise Catherine Le Bris, chargée de recherche au CNRS, « le plus court chemin pour un bombardier, un missile ou une fusée balistique entre l’URSS et les États‐Unis aurait été celui du pôle Nord ». Ce qui était valable lors de la Guerre Froide, l’est encore aujourd’hui.

Dès lors, rapprocher tout bâtiment de sa cible potentielle devient un enjeu à considérer sérieusement pour la partie adverse. Si la menace sous-marine est une composante qui était déjà prise en compte depuis longtemps, la possible proximité future de porte-avions ou de frégates l’est à présent aussi. De même, pour ce qui est des infrastructures de projection de forces et de frappes, les exemples de rapprochements géographiques ne manquent pas à l’instar des Américains qui ont leur propre base militaire, dévoilée au grand public presque par hasard en 2016, ironiquement à l’aune du changement climatique et située dans le Nord du Groenland.

Ce « Camp Century », a été construit pendant la guerre froide et avait pour but de stocker des missiles balistiques face à l’URSS alors puissante. Aujourd’hui, avec la fonte des glaces, la base menace l’écosystème proche à cause de la quantité de produits chimiques qu’elle contient. Bien qu’à l’époque la notion même de réchauffement climatique n’existât pas, les enjeux liés à l’Arctique n’étaient pour autant pas occultés.

Ainsi, le changement du climat pousse les différents pays à reconsidérer sérieusement cette région. Dans ce domaine, la Russie est déjà bien avancée : en avril 201,  Moscou consentait à publier pour la première fois des images d’une base russe implantée en Arctique sur la Terre Alexandra de l’archipel François Joseph et baptisée « Trèfle Arctique », au couleur du drapeau russe. Cette dernière est énergétiquement autonome et abriterait environ 150 militaires conduisant des opérations permettant à des Mig 31 ou des Soukhoï SU-34 de se poser et se ravitailler. Une autre partie des bâtiments est décrite comme « top secret ». Située bien au-delà du cercle Arctique, cette base est le témoin d’une force qui avance peu à peu ses pions et assume ses possessions territoriales tout en se rapprochant de nouvelles ressources qu’elle espère bien exploiter. Face à l’OTAN, Moscou cherche dès lors à se déployer plus avant et à sécuriser ses approvisionnements dont son économie dépend tant. Cette stratégie a notamment été consignée dans la doctrine de sécurité russe pour 2020.

Les ressources exploitables

Un autre enjeu de la fonte des glaces est l’accès rendu possible à de nouvelles ressources minières et fossiles.

À  l’heure où les Chinois contrôlent une grande partie des terres rares disponibles sur Terre, la découverte de nouvelles mines pourraient mettre en partie fin à ce quasi-monopole et voir une baisse des cours de certaines matières premières. On recense ainsi dans les régions circumpolaires la présence de nickel, palladium, platine, rhodium, vanadium, cobalt, uranium ou encore de diamant. Terres rares, matière fissile ou précieuse sont aujourd’hui déjà exploitées dans les contrées du Grand Nord et la fonte des glaces recouvrant le Groenland apparait comme une opportunité pour le territoire autonome de se développer économiquement dans cette région fragile dont il a en partie la garde.

Mais les ressources convoitées dans le secteur sont principalement gazières et pétrolières. Face à l’hégémonie du Moyen-Orient et de l’OPEP et avec la montée en puissance depuis une dizaine d’année des États-Unis sur le marché des hydrocarbures, il s’agit pour les autres puissances régionales de conquérir ces ressources au plus vite pour mieux peser sur le marché mondial. On le sait, sur le marché des hydrocarbures, c’est sur le long terme et sur les réserves prouvées et probables que tout se joue tant pour garder sa crédibilité à l’international que pour pouvoir peser dans la balance des prix. L’Arabie Saoudite le prouve tous les jours.

Du fait des conditions climatiques extrêmes, et de la difficulté d’exploitation, ainsi que de l’étendue du territoire considéré, les réserves régionales d’hydrocarbures sont assez mal connues et peu d’études existent sur le sujet. Pourtant l’US Geological Survey (USGS), branche de l’US Department Of the Interior (DOI), publie sur le sujet et fait ainsi référence en la matière. Avant de dévoiler des chiffres sur les réserves présentes et le potentiel d’exploitation.

Il faut tout d’abord préciser que les chiffres donnés sont susceptibles de varier fortement par rapport à la réalité d’une part, et qu’ils pourraient être minorés d’autre part. En effet, les États-Unis n’ont aucun intérêt à ce qu’un pays évalue pleinement le potentiel auquel il pourrait avoir accès, de peur que ce nouveau concurrent ne fasse de l’ombre à l’oncle Sam et à sa production nationale. La stratégie est du reste connue dans le milieu du pétrole et la plupart des pays producteurs adoptent le même mode de communication : chaque année, les réserves restent au même niveau que les années précédentes. Enfin, rappelons que le gaz et le pétrole que l’on peut extraire ne sont pas nécessairement du gaz et du pétrole extraits et que tout dépend du prix de la ressource ainsi que des contrats passés.

Les chiffres concernant l’Arctique impressionnent : selon l’USGS : il y aurait dans le sous-sol arctique entre 44 et 157 milliards de barils de pétrole et entre 22 000 et 85 000 milliards de mètres cubes de gaz naturel. A titre de comparaison, l’Iran qui possède les deuxièmes réserves mondiales de gaz, voit ses réserves évaluées à environ 34 000 milliards de mètres cubes de gaz naturel. Le rapport précise de plus que de larges réserves de pétrole et de gaz de schiste mais aussi de pétrole lourd ou de gaz de charbon seraient présentes dans les sous-sols. Au niveau des lieux de forages potentiels au-delà du cercle Arctique, le rapport recommande les zones de l’Alaska mais aussi la Sibérie.

Cette manne énergétique commence déjà partiellement à être exploitée par la Russie notamment ; le projet Yamal LNG, bravant les conditions extrêmes en décembre dernier a exporté ses premiers mètres cubes de gaz liquéfié par bateau. Mais les ambitions russes ne s’arrêtent pas là pour autant : habituée et spécialiste des températures glaciales du Grand Nord, la Russie a bâti toute une flotte de brise-glaces pour braver les éléments et a emporté avec elle une technologie qui n’avait jamais alors été importée en Arctique à des fins pacifiques : l’énergie nucléaire. En effet, ces brise-glaces et, plus récemment, une centrale flottante complète, sillonnent à présent les mers pour, se frayer de nouveaux chemins grâce à la propulsion nucléaire, et, apporter 30 MW de puissance nucléaire aux régions isolées. Notons de plus que cette centrale nucléaire flottante, une première historique, porte aussi le nom de Lomonossov, tout comme la dorsale revendiquée par Moscou… On le comprend bien, les ambitions Russes sont en grande partie tournées vers le Nord ; entre nouvelles voies navigables, réserves importantes et infrastructures déjà en place, la Russie pourrait se rêver comme future plaque tournante mondiale du gaz mais aussi du transport de marchandises.

Ainsi, au milieu des bouleversements climatiques, géopolitiques et énergétiques, l’Arctique apparaît plus que jamais comme le centre d’enjeux critiques et pouvant avoir des effets sur le long terme. Seule la projection dans la durée permet de se faire une idée précise de la situation énergétique : conditionnée par le coût du gaz et du baril et par les tendances de consommation, la prospection dans ces zones difficiles est loin d’être assurée et rentable. Cependant, un leadership russe est clairement visible dans une course à la conquête des pôles : infrastructures flottantes et à terre, revendications territoriales accrues, ressources fossiles importantes et dépendance de son PIB au revenus pétroliers font de Moscou le grand et quasi unique acteur de la zone sur laquelle son emprise s’étend de jour en jour. Face à cela, la riposte américaine et celle de ses alliés de l’OTAN tardent à venir alors que son influence dans la région fond comme neige au soleil.

 

Par Martin Laplane, diplômé de l’IFP School (École nationale supérieure du pétrole et des moteurs)

Article initialement publié par Mercoeur

retrouvez l’article original ICI

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