
La corruption est un mot tabou. Même sa définition est contestée, son existence constamment niée et lorsque vous commencez à éclaircir le problème, des zones plus sombres encore apparaissent. Travailler dans le domaine de la lutte contre la corruption vous expose à de grands actes de bravoure et de lâcheté, car de chaque côté, les acteurs manipulent l’axe du pouvoir pour faire pencher la balance de la justice.
Qu’il s’agisse d’individus, d’une organisation, d’une nation ou d’une région, on assiste constamment à un véritable tango entre ceux qui incitent à instaurer des institutions solides, la transparence et l’État de droit et ceux qui prospèrent grâce à la fragilité institutionnelle, l’opacité et les pratiques illégales. Il n’existe pas de solution toute faite contre la corruption, mais la bonne nouvelle est qu’un modèle est en train d’être développé quant à la manière dont les réformes politiques, l’innovation et le leadership peuvent renforcer les niveaux de confiance et réduire la corruption.
Nous savons que «la corruption se nourrit de la crise de confiance générale et l’alimente à son tour, ce qui crée un cercle vicieux qui sape la santé économique et la cohésion sociale ». Nous savons également que les efforts de lutte contre la corruption déployés principalement pour des raisons politiques ou ciblant un seul acteur en particulier sont voués à l’échec et contribuent au déficit croissant de la confiance mondiale. Il n’est pas un endroit où cette lutte fait plus rage qu’en Amérique latine. Cette partie du monde est continuellement secouée par des scandales et la corruption y est actuellement classée parmi les trois facteurs les plus problématiques pour les chefs d’entreprise de trois des quatre plus grandes économies de la région. Cependant, ce qui est frappant en Amérique latine, c’est que les manifestations anti-corruption les plus récentes ayant secoué l’Argentine semblent se dérouler dans une atmosphère différente et réfractaire, orientée vers un regain de confiance envers la lutte contre la corruption.
D’après un livre blanc sur l’avenir de la confiance et de l’intégrité récemment publié par l’Initiative Partenariat contre la corruption (PACI) du Forum économique mondial, l’Argentine connaît une amélioration de la confiance accordée par les secteurs clés de la société, ce qui amène à entrevoir une réduction de la corruption. En effet, environ 78 % des chefs d’entreprise ont perçu une baisse de la corruption au cours de la décennie précédente et près de 90 % prévoient une amélioration supplémentaire au cours des dix prochaines années.

Le renforcement institutionnel et le regain de confiance stimulent la compétitivité globale de l’Argentine, lui permettant ainsi de remonter de 12 places dans l’Indice de compétitivité mondiale du Forum économique mondial et d’atteindre la 92ème place. Les niveaux de corruption et de confiance semblent affecter la croissance économique mais la façon dont fonctionne ce mécanisme reste en grande partie un mystère. Nous avons examiné cette question de plus près et avons identifié des dimensions institutionnelles, comportementales et technologiques essentielles aux progrès positifs de l’Argentine dans la reconstruction de la confiance et la lutte contre la corruption :
1. Le respect des obligations juridiques et l’État de droit : considérés comme le fondement de la confiance et de l’intégrité des secteurs public et privé, ils sont l’indicateur le plus important de la stabilité et de la croissance. En Argentine, le Bureau de lutte contre la corruption a élaboré une législation sur la réforme de la responsabilité des entreprises en 2016. La loi argentine sur la responsabilité des entreprises établit la responsabilité pénale des entreprises en cas de corruption active, nationale et transnationale, de trafic d’influence et d’autres délits de corruption.
2. « Diriger par l’exemple » : considéré comme le rôle le plus important du leadership dans la garantie de l’intégrité. L’administration de l’Argentine sous le président Macri a dénoncé publiquement la corruption et démontré son engagement par le biais de la réforme de politiques en cours. Dans le cadre de la présidence argentine du G20, des pistes claires de collaboration ont été établies pour mener à bien le programme de lutte contre la corruption lorsque le B20 et le C20 ont signé deux déclarations conjointes appelant tous les pays du G20 à mettre en œuvre des plans anti-corruption et à renforcer l’intégrité des entreprises publiques.
3. La technologie est devenue l’un des plus grands alliés de la transparence et un outil essentiel contre la corruption. L’Argentine a un train d’avance sur les autres dans la numérisation et la modernisation de ses administrations publiques. Cependant, tandis que les solutions émergentes telles que la blockchain, l’open data, la gouvernance électronique et l’intelligence artificielle ont un énorme potentiel pour contribuer à renforcer la responsabilité et la transparence, la confiance dans ces technologies varie encore considérablement entre les parties prenantes.
4. Combler le fossé entre les instruments institutionnels et le comportement éthique. Bien que les pays d’Amérique latine disposent de normes de gouvernance d’entreprise solides, ces mécanismes institutionnels ne se traduisent pas toujours par un comportement éthique. Bien que l’on assiste à un renforcement des normes grâce à de nouvelles exigences légales, telles que la loi sur la responsabilité des entreprises en Argentine, renforcer l’application des lois ne suffit pas.
5. Passer du bâton à la carotte. Mettre en avant des exemples d’actions positives et de leadership renforce les valeurs et la culture. Les initiatives de lutte contre la corruption se concentrent souvent sur l’identification et la poursuite des personnes impliquées dans de mauvaises pratiques, mais il est tout aussi important de souligner les réussites pour renforcer la confiance.
6. La nécessité de renforcer les actions collectives au sein des industries. L’une des principales préoccupations des entités du secteur privé est de créer un terrain de jeu au même niveau pour chaque concurrent, en unissant leurs forces à celles des partenaires de l’industrie, en mettant en commun les ressources et en renforçant le pouvoir de négociation pour résister aux tentatives d’extorsion. L’Argentine a prouvé qu’elle avait fait de gros progrès dans ce domaine ; cependant, les associations professionnelles et les secteurs exposés impliqués dans les marchés publics peuvent faire beaucoup plus.
L’Afrique du Sud, le Mexique, la Corée du Sud et la Malaisie, pour n’en citer que quelques-uns, ont récemment élu des gouvernements sur la base de la réforme anti-corruption promise. De même, l’Arabie saoudite, le Nigéria, la France et le Royaume-Uni sont en train de renforcer les plans de lutte contre la corruption. Dans un tel contexte, le gouvernement et les chefs d’entreprise ont l’opportunité de rétablir la confiance et de lutter contre la corruption. Pourtant, on peut également y voir une fenêtre où les mesures à court terme et les réformes mal jugées peuvent susciter une méfiance accrue, l’instabilité et une perte de confiance dans les marchés.
Ce que nous savons, c’est que des politiques efficaces qui réduisent la corruption auront un effet direct sur la croissance, mais aussi un effet indirect, qui sera peut-être même plus fort, grâce à l’instauration de la confiance. Les dirigeants continueront de surveiller l’Argentine pour voir si le cercle vicieux de la défiance et de la corruption a été brisé et si une nouvelle ère de confiance et d’intégrité a vu le jour.
En collaboration avec le WORLD ECONOMIC FORUM
https://www.weforum.org
Retrouvez l’article original ici.
Vos réactions