Nous vous proposons cette semaine, en collaboration avec le collectif Mercoeur, un dossier en deux parties consacré à l’Arctique. Dans ce premier article, il sera question de la création du statut international et particulier de ce continent de glace.

 

Le changement climatique laisse présager de nombreuses conséquences, tant au niveau de la montée des températures que celle des eaux, des déplacements de populations, de la modification des milieux naturels ou de la disparition de certaines espèces animales.

Pour autant, ce chaos en devenir est loin de préoccuper tout le monde, bien au contraire !

Paradoxalement, un des effets lié au changement climatique, est de rendre accessible de nouvelles ressources permettant de l’aggraver. Sous l’effet de la montée des températures, la glace polaire fond inexorablement, ouvrant de nouvelles voies navigables, de nouveaux horizons à conquérir et de nouvelles ressources à exploiter. Déjà, de nouvelles routes sont empruntées par les bateaux en été à travers les glaces, signe d’un changement d’époque.

La vidéo d’un bras robotique plantant un drapeau russe au fond de l’océan Arctique en août 2007 est restée dans de nombreuses mémoires. Et pour cause : le symbole est très fort et marque une volonté clairement affichée d’expansion et de conquête de la part de Moscou.

Mais les revendications nationales des différents pays nordiques se font aussi entendre et une bataille juridique et économique pourrait bientôt se jouer avec à la clé d’immenses ressources gazières et pétrolières dont on a, aujourd’hui encore, du mal à mesurer l’étendue. Quels rôles pour l’Arctique d’aujourd’hui ? Quelles ressources et quels enjeux lui sont-ils liés ? Sous la glace immaculée, l’or noir dort, mais pour combien de temps ?

Géographie et statut international de l’Arctique

Le continent Arctique peut être délimité de plusieurs manières ; pour le géographe, il est situé au-delà du cercle Arctique c’est-à-dire au-delà du parallèle de latitude 66°34 Nord, ligne à partir de laquelle le soleil ne se couche plus au solstice d’été ou, au contraire, n’apparaît pas entre les équinoxes d’automne et du printemps. Pour le météorologue et le pédologue, c’est le lieu délimité respectivement par la limite isotherme des 10°C et celui où le sol est gelé tout au long de l’année.

Si le premier acteur définit une ligne qui ne bouge pas avec le temps, on constate que ce n’est pas le cas des deux autres pour qui la frontière du continent fluctue. Les États riverains bordant ces régions polaires sont au nombre de six : le Canada, les États-Unis, la Russie, la Norvège, l’Islande et le Groenland, sous souveraineté danoise, bien que jouissant d’une relative autonomie. Cependant, puisque la majeure partie de ce continent est en fait liquide, ou plutôt gelée, sous forme de banquise et d’icebergs, ces États n’ont autorité sur aucune terre mais seulement sur des mers, à l’exception du Groenland.

Conséquemment, dans l’Arctique, tout est régi par le droit de la mer. Historiquement, celui-ci a été en premier évoqué au XVIIème siècle, sous la plume d’Hugo Grotius, un avocat hollandais qui voyait l’océan comme une ressource commune et illimitée pour l’Humanité et, de ce fait, appartenant à tous.

Depuis, le droit de la mer a été intégré au droit international, tout en devenant une sous-branche du droit des espaces incluant le droit aérien et le droit spatial. Mais l’idée de Grotius a fait son chemin et s’est en partie trouvée conservée sous la forme de deux évènements internationaux récents :

Cette conférence répond à une volonté des États de réguler un trafic maritime en croissance constante depuis le début du XXème siècle. Elle se divise en quatre conventions distinctes dont la Convention sur la Haute Mer établissant les grandes zones maritimes mondiales. En particulier, elle garantit certains droits en Haute Mer :

  • La liberté de la navigation
  • La liberté de la pêche
  • La liberté d’y poser des câbles et des pipelines sous-marins
  • La liberté de la survoler

D’autre part, la Convention sur la Mer Territoriale et la Zone Contiguë définissait la mer territoriale comme étant la laisse de basse mer, c’est-à-dire la limite extrême atteinte par la mer sous l’influence de la marée, en l’absence de perturbations exceptionnelles. La gratuité et la liberté de passage étaient garanties pour tous les bateaux la traversant. De plus, une Zone Contiguë était instaurée, ne pouvant s’étendre au-delà de 12 milles nautiques à partir de la ligne de base et dans laquelle l’État riverain pouvait exercer un contrôle. Restaient enfin la Convention sur la Pêche et la Convention sur le Plateau Continental. La mer était donc divisée en trois espaces : la mer territoriale, puis la zone contiguë et enfin la Haute Mer.

Sous la pression internationale, une autre réunion fut convoquée dans le but de compléter la Convention de Genève. Il en est ressorti la Convention dite de Montego Bay, lieu où elle fut écrite, en Jamaïque.

Ce texte fait toujours référence en matière de droit maritime. En particulier, il définit la notion de Zone Économique Exclusive (ZEE), bande de 200 milles nautiques (~370 km) de large depuis la côte de tout État bordant une mer.

Cette limite est fixe mais peut être étendue de 150 milles supplémentaires selon les limites du plateau continental.

À l’intérieure de cette zone, la convention précise tout d’abord que « l’état côtier exerce des droits souverains sur le plateau continental aux fins de son exploration et de l’exploitation de ses ressources naturelles.» mais aussi que « l’état côtier a le droit exclusif d’autoriser et de réglementer les forages sur le plateau continental, quelles qu’en soient les fins. ». Dès lors, l’ajout de cette bande de mer entre la mer territoriale et les eaux internationales a permis à de nombreux États d’étendre leur souveraineté et notamment les États-Unis et la France, respectivement détenteurs des premières et secondes ZEE au monde en termes de surface. Cependant, la notion clé ici est celle du plateau continental : en effet, ce plateau continental peut être prolongé juridiquement jusqu’à la marge continentale et ce dans une limite de 150 miles supplémentaires. La ZEE théorique pourrait donc être étendue à 350 miles au total (~650 km), ce qui redéfinirait la carte des possessions territoriales, notamment en Arctique.

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Illustration de la marge continentale, source Wikipédia 

Cette extension est au cœur des débats actuels. Avec la fonte des glaces et la création de nouveaux passages, la plupart des États circumpolaires ont pu continuer leur exploration sous-marine et notamment clamer comme leur de nouveaux territoires au nom de l’extension de la ZEE comme prévu dans la Convention de Montego Bay. Cette dernière est aussi venue se rajouter à certains traités bilatéraux, notamment entre le Canada et le Danemark à propos de l’île Hans, ou entre la Norvège et la Russie au sujet de la mer de Barents par exemple.
C’est à ce titre que la Commission des Limites du Plateau Continental (CLPC) fut officiellement créée en 1997. Encore aujourd’hui, elle reçoit des demandes de la part des états signataires de la Convention de 1982.
Ces derniers regroupent de nombreux pays à l’exception notable des États-Unis, de la Turquie et du Venezuela qui n’ont jamais ratifié le traité. Enfin, une course contre la montre a très tôt été lancée. En effet, la Convention précise que les  États n’ont que dix ans après ratification pour clamer comme leurs certains territoires, preuves scientifiques et techniques à l’appui

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Revendications territoriales en Arctique

En Arctique, les choses ne sont nullement différentes du reste du monde et les revendications russes, notamment, sont très importantes : un des meilleurs exemples des revendications de chacun des protagonistes est la dorsale dite de Lomonossov. Cette dernière est revendiquée tant par les Russes que les Danois et les Canadiens. C’est notamment là que Moscou planta son drapeau à 4 200 mètres de fond, en août 2007. Courant jusque sous le pôle Nord, elle permettrait à qui la possède l’accès à de nombreuses ressources tant halieutiques que minières ou fossiles. Déjà en 2001 la Russie avait déposé un dossier à la CLPC ; ce dernier a été mis en attente par la Commission qui a demandé plus de détails techniques ce qui n’a pas empêché Moscou d’agir par la suite comme on l’a vu.

 

Par Martin Laplane, diplômé de l’IFP School (École nationale supérieure du pétrole et des moteurs)

Article initialement publié par Mercoeur

retrouvez l’article original ICI

 

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