Le numérique nous fait entrer dans un nouvel âge du politique, avec les « civic tech », ces technologies qui doivent permettre aux citoyens de prendre part à la prise de décision publique et de se mobiliser pour l’intérêt général. Cette démocratie numérique demande à être maîtrisée.

Le numérique nous fait entrer dans un nouvel âge du politique, avec les « civic tech », ces technologies qui doivent permettre aux citoyens de prendre part à la prise de décision publique et de se mobiliser pour l’intérêt général. Puissant facteur de désintermédiation, elles modifient le jeu des acteurs, à la fois sur le plan de la communication (court-circuitant les médias), de la construction des projets et des lois (court-circuitant les lobbies) et le message même qu’elles véhiculent, qui doit être plus personnalisé et jouer sur le registre de l’émotion. Ainsi, l’ubérisation de la politique serait en marche.

« Dans le monde entier, la diffusion massive d’Internet permet à des milliards d’individus d’accéder à l’éducation et à l’information, de s’organiser, de s’engager dans la vie publique et associative. A Paris et dans les collectivités locales, les budgets deviennent participatifs. Au Brésil avec le Marco Civil, en Islande pour la Constitution, en France avec la loi pour une République numérique, les citoyens participent à l’élaboration de textes fondateurs », expliquent Laure Lucchesi (directrice d’Etalab) et Henri Verdier (directeur interministériel du numérique et du système d’information de l’Etat). « Jamais dans l’histoire on n’a assisté à une telle créativité démocratique ni à un tel engagement citoyen ». Grâce aux « civic tech ».

Le journaliste Lionel Meneghin évoque la troisième révolution industrielle du numérique comme une « chance », fournissant « au dirigeant et au citoyen des axes d’expérimentation pour inventer un autre futur que celui qui se dessine aujourd’hui », une fois réalisée la « réconciliation entre l’homme et la technique ».

Prenant à témoins Mark Zuckerberg et Jeff Bezos, l’universitaire François-Xavier de Vaujany constate que « les entrepreneurs (en particulier numériques) ont des effets de plus en plus politiques, en ce qu’ils modifient en profondeur des dimensions de la vie quotidienne, les formes du vivre ensemble et les modalités légitimes de leur gouvernance », notant que « l’effet est d’autant plus profond qu’il est invisible ».

Il constate que « l’open innovation, l’open data (« données ouvertes), le recours à la foule, les logiques de gestion par projet, les mécanismes d’incubation sont de plus en plus présents dans les discours comme les pratiques politiques ». Pour lui, pas de doute, « les forces politiques de la cité puisent en temps réel dans les infrastructures construites par l’action et la rhétorique des entrepreneurs ».

Une fois cet espoir posé – « Notre génération aspire à un monde plus collaboratif. Les enjeux de notre époque ne nous laissent de toute façon pas le choix : nous devons changer si nous ne voulons pas que nos démocraties soient emportées par la défiance, la colère et le renoncement. Le numérique et ses promesses peuvent être une partie de la réponse », explique Valentin Chaput (Point d’aencrage) –, encore faut-il éviter de « transformer ces outils en de simples gadgets à travers lesquels les gouvernements et des entreprises donneraient l’illusion d’une modernisation en faisant du « tech-washing » comme d’autres font déjà du green-washing pour simuler un engagement écologique. Il faut préserver ces technologies comme outils du bien commun, qu’on pourrait appeler « common-tech » pour les distinguer d’applications strictement commerciales », faire preuve d’exemplarité et éviter toute fracture numérique qui exclurait une partie des citoyens.

Valentin Chaput oppose deux modèles de « civic-tech : les logiciels libres contre les logiciels propriétaires, la question étant de savoir « si nous devons soumettre la « civic-tech » aux modèles économiques propriétaires » ou si notre idéal démocratique justifie une exception.

Source: Le Monde

 

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