Les contentieux entre l’Union européenne et Israël sont anciens. Une approche différente du conflit avec les Palestiniens explique largement ces divergences. Dans la dernière période, d’autres thèmes de discorde sont apparus. Mais des voix dissidentes au sein de l’Union ont favorisé le rapprochement entre l’Etat juif et plusieurs pays européens.

Contrairement à la légende, les relations diplomatiques entre l’Union européenne et Israël ne sont pas toujours conflictuelles. En novembre 2018, l’UE a ainsi condamné fermement les propos du président iranien Rohani qui comparait Israël à une tumeur cancéreuse : « Les remarques du président Rohani mettant en cause la légitimité d’Israël sont totalement inacceptables. Ils sont également incompatibles avec la nécessité de régler les différends internationaux par le dialogue et le droit international ». Même à l’ONU, il arrive aux Etats-membres de l’Union européenne de voter en faveur d’Israël. Ainsi, toujours en novembre de la même année, les vingt-huit ont condamné les tirs de roquettes du Hamas vers le territoire israélien. S’agissant de la légitimité de l’Etat d’Israël et de sa sécurité, on ne saurait donc faire de mauvais procès à l’Union européenne. De la même façon, l’UE s’est prononcée à plusieurs reprises contre le boycott des produits israéliens.

 

Des contentieux anciens

Ces positions de principe n’ont pas empêché le développement de nombreux contentieux entre l’Union européenne et Israël. L’approche du conflit avec les Palestiniens cristallise les différends. Pour l’Union européenne, la solution « deux Etats pour deux peuples » (avec Jérusalem-Est comme capitale de l’Etat palestinien) est la seule issue possible au conflit. Dans cette perspective, l’Union européenne avait soutenu avec enthousiasme le processus d’Oslo, facilitant la négociation du texte qui régit jusqu’à aujourd’hui les relations entre les deux parties : l’accord de stabilisation et d’association signé le 20 novembre 1995 et entré en vigueur le 1er juin 2000 . Les négociateurs se plaisaient à souligner leur commune appartenance au camp occidental et à ses valeurs. Ainsi, l’article 2 de l’Accord stipule que « les relations entre les parties devraient s’appuyer sur le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques, qui guident leurs politiques intérieure et internationale … ».

Pour l’Union européenne, le règlement du conflit israélo-palestinien doit aussi être inspiré par ces principes. Lorsque le conflit entre dans une phase aigüe (comme lors des deux intifadas ou lors des mini-guerres à Gaza), des voix se font entendre en Europe pour que les autorités de Bruxelles fassent pression sur le gouvernement israélien. Au Parlement de Strasbourg, lors de chaque crise, des députés (surtout à l’extrême gauche) demandent la suspension des accords de coopération. Ces tentatives ont toujours échoué. Il est vrai que plus de cinquante ans de relations ont forgé des liens solides entre les parties, et pas seulement en matière économique.

Une coopération importante

Les échanges commerciaux entre Israël et l’Union européenne font de celle-ci le premier partenaire de l’Etat juif (devant les Etats-Unis) : 34 % des exportations israéliennes sont dirigées vers l’UE et 43 % des importations israéliennes en proviennent. Les relations entre les deux parties ont aussi une dimension culturelle importante, notamment avec la participation d’étudiants au programme d’échanges universitaires Erasmus. Les résultats les plus spectaculaires ont été enregistrés en matière scientifique. Israël a été associé au projet de navigation par satellite Galiléo.  L’Etat juif est surtout partenaire des programmes-cadres de recherche européens au même titre qu’un Etat membre de l’Union. Ainsi, Israël a contribué pour 535 millions d’euros au budget du 7ème programme (2007-2013), et les institutions et entreprises israéliennes ont reçu 840 millions d’euros de financements pour des projets conjoints. Pour le programme Horizon 2020 (2014-2020), les montants attendus par les partenaires israéliens sont plus importants encore : 1,4 milliards d’euros. Le caractère exemplaire de cette coopération scientifique est souvent souligné : des centaines de success stories montrent que les chercheurs de la Start-up Nation ont tout intérêt à travailler avec leurs homologues européens, et réciproquement.

Ajoutons à cette liste non exhaustive qu’en sus de la coopération avec l’Union européenne, Israël développe de nombreux projets bilatéraux avec des Etats membres de l’Union. Ainsi, pendant six mois en 2018, la Saison France-Israël s’est concrétisée par l’organisation de plus de 400 évènements dans de nombreux domaines : innovation, sciences, économie, théâtre, danse, art contemporain, musique, éducation, cinéma ….

Divergences

Comme l’avait déclaré un ancien ambassadeur de France à Tel-Aviv à l’auteur de ces lignes : « Les relations sont excellentes, mais nous avons une grave divergence diplomatique ». On ne saurait mieux dire. Alors même que les programmes de coopération fonctionnaient plutôt bien ces dernières années, les contentieux politiques se sont multipliés entre l’Union et l’Etat juif. On se souvient que les autorités de Bruxelles avaient promu un texte obligeant à étiqueter distinctement les produits importés des colonies juives dans les Territoires palestiniens. La mini-crise diplomatique qui avait suivi cette initiative n’est plus d’actualité, les divergences entre les Etats-membres et les difficultés de mise en pratique ayant considérablement minoré la portée de cette obligation. Mais d’autres contentieux sont apparus. L’Union européenne finance de nombreuses associations qui, pour certaines, agissent de façon plus ou moins nette en faveur du boycott de l’Etat juif ou entretiennent des liens avec le mouvement BDS. La commission de contrôle budgétaire du Parlement européen a du reste reconnu qu’il fallait faire un effort de transparence en la matière. La question du financement d’ONG israéliennes qui s’opposent aux gouvernements de droite (telles Shalom Akhshav, B’Tselem, Shovrim Schitika) est un autre sujet de contentieux avec l’UE, d’autant qu’une loi israélienne oblige désormais les organisations qui sont financées à plus de 50 % par des autorités étrangères à en faire mention dans leurs documents officiels. L’Union européenne y a vu un risque pour la liberté d’expression et la liberté d’association . Plus globalement, lorsqu’Israël fait le lien entre le financement d’ONG, le boycott, et le terrorisme, l’Union européenne récuse ces « accusations vagues et sans fondement servant seulement à alimenter des campagnes de désinformation … » . Dans le même esprit, les dirigeants européens se sont déclarés « préoccupés » lorsque la Knesset a adopté la loi dite sur l’Etat-Nation qui insistait sur le caractère juif de l’Etat d’Israël. En termes apparemment très diplomatiques, la porte-parole de la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, déclara : « Nous respectons la souveraineté d’Israël, mais les principes de base, y compris le droit des minorités, doivent être respectés. » .

La deuxième Europe

Au fil de ses mandats, Binyamin Netanyahou avait observé avec intérêt les divisions apparues entre les États membres au sein de l’Union européenne. En effet, on ne le souligne pas assez, une deuxième Europe est apparue depuis l’élargissement de l’Union aux pays d’Europe centrale et orientale (2004). Dèjà, en 2003, la Pologne, la Hongrie et la République tchèque avaient soutenu la position des cinq Etat-membres de l’Union européenne (Grande-Bretagne, Espagne, Italie, Portugal, Danemark) favorables à l’intervention américaine en Irak. L’évolution de plusieurs de ces nouveaux Etats-membres de l’UE vers des régimes de démocratie ‘illibérale’ n’avait guère été anticipée. Mais le Premier ministre israélien a très vite compris que ces mutations pouvaient servir sa politique extérieure. En 2017, il s’est rapproché des pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie, République Tchèque) et a participé à l’une de leurs réunions. De façon très solennelle, il a reçu à Jérusalem plusieurs dirigeants de ces pays. En juillet 2018, le Premier ministre hongrois, Victor Orban, eut droit à tous les honneurs réservés aux invités de marque. Vis-à-vis de Budapest, le Premier ministre israélien était déjà allé très loin, refusant de se solidariser avec le milliardaire américain Georges Soros, originaire de ce pays, où les autorités avaient mené une campagne antisémite contre lui. Dans la série des visites marquantes on notera celle de Milos Zeman le 25 novembre 2018. Le Premier ministre israélien ne bouda pas son plaisir en écoutant le président tchèque déclarer : « Trahir Israël, c’est nous trahir » en assurant qu’il ferait « tout ce qui est en son pouvoir » pour transférer à Jérusalem l’ambassade de son pays. L’un des sommets de l’idylle entre le gouvernement israélien et les populistes européens fut atteint le 11 décembre 2018 avec la visite du ministre de l’Intérieur italien, et dirigeant de la formation d’extrême droite, la Ligue, Matteo Salvini, qui ne fit pas dans la nuance : « L’Union européenne ces dernières années a été absolument déséquilibrée (…) dans sa gestion du conflit du Proche-Orient, condamnant et sanctionnant Israël toutes les 15 minutes ». Qualifiant Israël de « rempart de sécurité pour les valeurs européennes et occidentales dans la région », Matteo Salvini ajouta que « quiconque veut la paix soutient Israël ».

Pour emporter le soutien de leurs nouveaux alliés, les autorités israéliennes jouent sur plusieurs registres : le registre nationaliste de ces pays très critiques vis-à-vis du fonctionnement d’une UE présentée comme une machine fédéraliste hostile à la souveraineté nationale; le registre économique en proposant de mettre à leur disposition les atouts de la high tech israélienne ; enfin le registre historique en considérant que les gouvernements de ces pays – au passé souvent marqué par une hostilité systématique à l’égard des Juifs – combattent efficacement l’antisémitisme. Sur ce dernier point, on notera qu’en juin 2018, le Premier ministre d’Israël a publié avec son homologue de Pologne une déclaration commune qui dédouane ce pays de toute responsabilité dans la Shoa.

Ce rapprochement spectaculaire de l’Etat juif avec les pays européens sombrant dans le populisme n’est pas fortuit. Israël peut désormais jouer sur les divisions de l’Union européenne. Celle-ci devant prendre à l’unanimité ses décisions les plus importantes en matière de politique étrangère, toute initiative perçue comme contraire aux intérêts israéliens pourrait être bloquée par les nouveaux amis de l’Etat juif. De toute façon, l’Union européenne, en proie à toutes les crises, et d’abord à une crise de confiance, aura de plus en plus de mal à jouer dans la cour des grands sur la scène internationale. Surtout pour y affirmer son attachement à des solutions fondées « sur le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques » comme le stipulait l’Accord de 1995.

 

Par Philippe Velilla

Philippe Velilla est né en 1955 à Paris. Docteur en droit, fonctionnaire à la Ville de Paris, puis au ministère français de l’Economie de 1975 à 2015, il a été détaché de 1990 à 1994 auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Il a aussi enseigné l’économie d’Israël à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 1997 à 2001, et le droit européen à La Sorbonne de 2005 à 2015. Il est de retour en Israël depuis cette date. Habitant à Yafo, il consacre son temps à l’enseignement et à l’écriture. Il est l’auteur de “Les Juifs et la droite” (Pascal, 2010), “La République et les tribus” (Buchet-Chastel, 2014), “Génération SOS Racisme” (avec Taly Jaoui, Le Bord de l’Eau, 2015), “Israël et ses conflits” (Le Bord de l’Eau, 2017). Il est régulièrement invité sur I24News, et collabore à plusieurs revues.

Article publié avec l’aimable autorisation de l’Almanach 2019 du KKL Strasbourg

 

 

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