Selon un récent rapport publié par l’Institut de recherches économiques et fiscales(IREF), l’agriculture française, en constante chute de compétitivité depuis trois décennies, se trouve aujourd’hui quasiment étouffée par les lourdeurs administratives, les agriculteurs français sont à la fois trop contrôlés, trop subventionnés et pas assez responsabilisés.

 

L’auteur du rapport, Laurent Pahpy, économiste chargé d’étude à l’IREF, expose la situation catastrophique à laquelle font face les agriculteurs en France. Il pointe du doigt certaines dispositions absurdes et dérives liées aux subventions et à la sur-réglementation, il propose d’y remédier notamment par la restriction du périmètre d’intervention étatique, et par la réduction des création de normes et autres réglementations.

Le rapport met en exergue le déclin du secteur agricole français, troisième exportateur mondial encore au début des années 2000, la France est passée en sixième position, derrière les Pays-Bas et l’Allemagne. Cette chute de compétitivité s’aggrave continuellement depuis les années 1990 et s’accompagne d’une baisse drastique des revenus de très nombreux agriculteurs L’auteur établit une solide corrélation entre cette baisse et l’ interventionnisme public.

 

Un état des lieux alarmant

 

Le rapport évoque un secteur sinistré, ainsi que des agriculteurs vivant sous le seuil de pauvreté :

« D’après la mutualité sociale agricole (MSA), un tiers des agriculteurs gagnait moins de 350 €/mois en 2015 (subventions incluses)[5]. Les revenus professionnels annuels moyens ont baissé de plus de 30 % en 2 ans, passant de 14 000 € en 2013, à moins de 10 000 €/an en 2015. Nombreux sont les agriculteurs à connaître de graves difficultés financières. A cela s’ajoute leur incapacité à s’adapter à la conjoncture économique dans un contexte de baisse mondiale des prix des matières premières agricoles. Un autre indicateur fait froid dans le dos : celui du taux de suicide. Un agriculteur se suicide tous les deux jours en France. Les agriculteurs de plus de 50 ans ont un risque de décès par suicide multiplié par 3 par rapport à la moyenne nationale. »

Le rapport décrit également un effondrement de la compétitivité du secteur agricole ; de 8,3 % des parts à l’export en 2000, celui-ci ne représente plus que 5 % du commerce international des produits agroalimentaires.

Par ailleurs, entre 1988 et 2010,le nombre d’exploitations a été divisé par deux, passant de 1 million à 500 000, celles-ci sont devenues plus grandes et plus productives, et la tendance ne semble pas ralentir. Paradoxalement, si les rendements ont augmenté, l’emploi agricole a fortement baissé, perdant près de 250 000 actifs permanents entre 2000 et 2015, pour atteindre 710 000 actifs environ, hors main-d’œuvre saisonnière ou occasionnelle.

 

Dirigisme économique et subventions : une agriculture sous perfusion

 

Selon le rapport, le dirigisme économique et la sur-réglementation produisent des effets désastreux sur le secteur agricole. Les subventions quant à elles, favorisent l’émergence des conflits d’intérêt, tout comme la multiplication des scandales. Elles génèrent aussi des coûts administratifs et des contrôles improductifs :

 

« Ces coûts administratifs affectent tout autant les agriculteurs qui doivent remplir des dossiers extrêmement complexes et subir des contrôles pointilleux. Ils doivent aussi être capables de comprendre à quelles subventions ils ont le droit en répondant quelles exigences. Bien souvent, ils délèguent ces tâches à d’autres organismes qui prennent eux aussi leur commission, détournant ainsi une partie des subventions de leurs objectifs initiaux. »

 

Laurent Pahpy estime que « les subventions sont un transfert forcé des ressources des plus pauvres vers les plus riches » il cite l’exemple de l’agriculture biologique, subventionnée par l’ensemble des contribuables, alors que c’est les plus aisés qui en sont les premiers consommateurs. En 2012, 24 % des catégories sociales les plus aisées consommaient du « bio » une fois par mois, contre 15 % pour les employés, les ouvriers et les professions intermédiaires.

 

Pour l’auteur, « les subventions créent des illusions de richesse qui faussent les signaux de marché. Dans la plupart des industries, les prix de marché donnent des indications essentielles sur l’offre et la demande. Les profits générés permettent d’investir et de prendre des risques en innovant pour produire toujours mieux et pour moins cher. En faussant ces indicateurs par des subventions, les ressources ne peuvent plus être allouées aux investissements les plus pertinents. Les plus compétitifs comme les moins compétitifs sont maintenus à flot. Cela empêche les meilleurs de grossir tout en entretenant la soutenabilité des entreprises les moins efficientes. Des surproductions, des mauvaises allocations des terres, des augmentations artificielles des prix ne sont alors que des conséquences logiques de telles politiques interventionnistes. »

10 propositions pour une agriculture plus juste et équitable

 

Avec l’aimable autorisation de Laurent Paphy, la rédaction a décidé de vous livrer telles quelles les propositions parues dans le rapport :

« Afin de libérer les agriculteurs français du joug administratif, l’IREF fait les propositions suivantes :

 

1. Le périmètre d’intervention de l’État doit être drastiquement restreint. Les missions du ministère de l’Agriculture doivent se limiter aux services administratifs propres à toute activité économique. Cela implique une réduction significative de sa taille, voire sa suppression, tout comme ses administrations déconcentrées.

 

2. Comme tout entrepreneur, un exploitant doit avoir le droit de produire ce qu’il désire, en qualité et quantité souhaitées. Toute forme de contrôle monopolistique de l’offre doit être éliminée.

 

3. Il est indispensable de repenser la création de normes en responsabilisant l’agriculteur tout en réduisant la réglementation. Il serait pertinent d’adopter la politique consistant à supprimer préalablement deux ou trois réglementations existantes pour toute nouvelle réglementation décidée par l’UE ou l’État. Le droit coutumier, la responsabilité civile et pénale et la concurrence normative ne devraient pas être négligés pour allier compétitivité et gestion des nuisances environnementales associées à l’agriculture.

 

4. Face aux effets pervers des subventions, il est urgent de rétablir les signaux de marché, libérer le pouvoir d’achat du contribuable, laisser les exploitations les plus compétitives innover et concurrencer celles qui sont sous perfusion d’argent public. Il faudrait envisager les négociations sur la PAC post 2020 avec une stratégie de sortie progressive et définitive du financement forcé de l’agriculture européenne par le contribuable, comme cela a été fait dans plusieurs pays du monde. FranceAgriMer et l’ASP pourront alors être supprimés.

 

5. Un agriculteur doit pouvoir disposer de sa propriété et des fruits de son travail comme il l’entend avec ceux qui sont disposés à échanger avec lui. En ce sens, le contrôle des structures et les SAFER peuvent être supprimés sans délai. Toute forme de soutien public à l’installation des jeunes agriculteurs doit être abandonnée.

 

6. Il faut privatiser et mettre en concurrence les chambres d’agriculture tout en mettant fin à la TATFNB et aux subventions publiques qui leur sont allouées afin de ne plus faire financer la défense des intérêts particuliers d’une corporation par le contribuable. Les agriculteurs pourront ainsi retrouver leur liberté syndicale (et par conséquent celle de ne pas se syndiquer) et ne plus être soumis à un système représentatif majoritaire, contraire à la liberté d’association. Les missions administratives réalisées jusqu‘à présent par les chambres d’agriculture pourront alors être transférées aux services déconcentrés de l’État. De manière générale, toutes les activités de conseil aux agriculteurs devraient être libérées, privatisées et mises en concurrence.

 

7. En violation avec la libre concurrence et la libre association, les interprofessions doivent perdre toutes leurs prérogatives légales et leur caractère contraignant. Leur financement doit rester strictement volontaire et limité à leurs membres, sans aucun lien légal ou financier avec les institutions publiques. En ce sens, les CVO et les subventions qui leur sont allouées peuvent être supprimées sans délai.

 

8. La MSA, symbole de l’échec du système de retraite par répartition, doit servir d’exemple pour une réforme plus globale vers un système par capitalisation en permettant la création de fonds de pension afin d’assurer une véritable retraite aux agriculteurs. La MSA doit être privatisée et mise en concurrence pour en faire une véritable mutuelle. Les retraités actuels de ce régime peuvent être transférés au régime général. Les problèmes sociaux des exploitants les moins compétitifs ne peuvent plus faire l’objet d’une perfusion d’argent public illimitée. Les politiques protectionnistes vis-à-vis de ces exploitations doivent cesser pour que ces agriculteurs puissent envisager sereinement une restructuration ou une reconversion professionnelle.

 

9. Les syndicats d’agriculteurs ne devraient recevoir aucun financement public et ne reposer que sur les cotisations volontaires de leurs membres.

 

10. Enfin, pour les mêmes raisons que celles invoquées ci-dessus, les organismes publics et parapublics suivants peuvent être privatisés et mis en concurrence tandis que toute forme de soutien public ou de financement obligatoire peut être aboli pour :

• le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER),

 

• l’institut national de l’origine et de la qualité (INAO),

 

• l’Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer,

 

• l’Institut français du cheval et de l’équitation,

 

• le Pari mutuel urbain (PMU),

 

• l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique.

 

[…] Il est urgent de redonner le droit aux paysans d’être de véritables entrepreneurs sur leurs terres et d’éliminer la technostructure d’État dont le rôle consiste ni plus ni moins à leur casser les genoux au nom de considérations arbitraires pour leur offrir a posteriori des béquilles avec l’argent du contribuable. Une telle réforme affectera probablement lourdement les structures agricoles actuelles et accélérera la reconversion d’un certain nombre d’exploitations. Mais elle est nécessaire et plus elle sera retardée, plus l’adaptation sera violente. Les agriculteurs français disposent des terres, du climat et des talents nécessaires pour répondre aux attentes des consommateurs et pour relever les défis de notre époque. Laissons-les révolutionner l’agriculture de demain. »

 

Retrouvez l’intégralité du rapport ici.

 

Par la rédaction.

 

 

 

 

 

 

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