Guy Mamou-Mani, Co-Président du Groupe Open, Vice-Président du CNNum* et ex-président du Syntec Numérique est l’un des penseurs de la politique numérique en France et son plus fervent défenseur. 

Après une campagne électorale pleine de promesses et à la veille de l’élection d’un nouveau président pour la France, il nous livre ses déceptions, ses craintes et ses espoirs pour une meilleure politique numérique.

Gouvernance: Que pensez-vous du Bilan numérique de ces cinq dernières années? 

Guy Mamou-Mani: Il y a eu des choses positives accomplies pendant ce quinquennat, néanmoins il demeure quelques insuffisances.

En effet des progrès notables ont été réalisés sous l’impulsion de Fleur Pellerin et d’Axelle LeMaire successivement Ministre déléguée chargée des Petites et moyennes entreprises, de l’Innovation et de l’Économie numérique;

Il y a eu l’Adoption de la loi numérique, le projet de l’industrie du futur, la Grande Ecole Numérique, l’introduction du coding dans les écoles…etc.

Hélas, ces mesures nouvelles n’ont pas été inscrites dans une véritable vision de la transformation de notre société accompagnée de la construction d’un cadre fiscal et juridique, il aurait fallu pour cela plus de volonté politique.

Gouv: Est-ce que le numérique a été suffisamment abordé dans le programme des candidats?

GMM: J’ai lu avec attention les programmes de tous les candidats à la présidentielle, la plupart ont abordé le numérique mais à des degrés différents.

Cependant, ces propositions restent pauvres car elles font l’impasse sur les vrais enjeux du numérique et son apport.

Tous les sujets ont été traités sans mention de l’apport positif du numérique, alors que celui-ci a la capacité de révolutionner différents domaines.

A titre d’exemple: L’e-santé avec la télé-médecine ou les maisons de santé connectées comme alternative à le désertification médicale des zones éloignées, aussi, la modernisation de l’Etat par des plateformes plus efficaces et plus rapides….

Au lieu de faire rêver et donner un but aux citoyens, on a entendu que des connotations négatives sur le numérique comme la destruction de l’emploi ou la déshumanisation de la société.

Au fond, les candidats préfèrent parler de choses plus simples et surtout de ce que veulent entendre les gens.

Gouv: Parmi les candidats à la présidentielle, lequel a traité le plus du numérique?

GMM: C’est Emmanuel Macron qui a le plus intégré le numérique dans son projet. Je regrette cependant que celui-ci ait laissé Benoit Hamon diaboliser le numérique.

Même si le sujet est présent dans les programmes respectifs des candidats, il fut le grand absent dans les débats.

Par choix, je n’évoquerai pas Marine Le Pen.

Gouv: Avez-vous interpelé les candidats en leur soumettant des propositions?

GMM: Il y a eu des propositions collectives portées par différents acteurs du numériques, notamment la Syntec Numérique et le CNNum mais aucune n’a été prise en compte.

Les propositions portaient sur tous les domaines comme l’emploi via le rapport de Syntec Numérique sur le travail de demain, la transformation numérique des PME, l’e-santé, l’e-gouvernement et notamment les cadres fiscaux et juridiques pour les accompagner.

J’ai écrit moi-même une tribune donnant les pistes d’une véritable transformation de notre pays par le numérique : emploi, formation, éducation, santé…..

Gouv: A-t-on besoin d’une instance étatique pour gérer le numérique? 

GMM: Nous n’avons pas forcément besoin de ministère du Numérique. En effet après le travail pédagogique des précédents ministres nous devrions avoir maintenant un regard numérique dans tous les ministères et pourquoi pas un Président portant ces enjeux.

De plus les organismes comme l’ANSSI*, la DINSIC* et la CNIL* font un travail remarquable mais devraient être plus écoutés.

Gouv: Seriez-vous prêt à conseiller le prochain gouvernement? 

GMM: Le bord politique m’importe peu, J’ai déjà  travaillé sous les présidences de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande, Je suis encore prêt à travailler avec le prochain gouvernement à l’exception de l’extrême Droite. L’important est qu’il y ait une volonté de bien faire les choses.

Gouv: Quelle mesure particulière faudrait-il absolument réviser lors du prochain quinquennat ?

GMM: Outre les mesures concernant tous les pans de la société que j’ai évoquées précédemment certainement celles qui concernent la sécurité; deux mesures qui ont été portées par Bernard Cazeneuve:

La première est la loi sur le renseignement, une mesure liberticide équivalente au Patriot Act américain. Le gouvernement a voté cette loi malgré les avis défavorables des défenseurs des libertés numériques dont le La Syntec Numérique que je présidais à l’époque.

La seconde est le décret de mise en place du TES (Titres électroniques sécurisés), un fichier unique regroupant des informations sur tous les citoyens français (Carte d’identité et passeport). Ce décret est passé malgré le rapport mitigé émis par l’ANSSI et la DINSIC et les tentatives de gel par Axelle Lemaire et Le Conseil National du Numérique.

Je suis contre ce fichier centralisé car il représente un danger considérable pour les libertés individuelles. Il aurait été plus judicieux de fractionner les données des citoyens dans des fichiers décentralisés afin de garantir leur protection face aux dangers des cyberattaques.

Gouv: Etes-vous optimiste?

GMM: Absolument! Je tiens ça de ma mère qui fut une personne très optimiste malgré les épreuves qu’elle a dû surmonter durant sa vie.

Elle a appris à ses enfants l’optimisme et la confiance en soi. Je crois d’ailleurs qu’on devrait appliquer cette méthode dans les écoles  dès le plus jeune âge afin d’inculquer la confiance en soi aux enfants.

Cet optimisme me permet de croire que la France saura maintenir sa compétitivité technologique et prendra le virage du numérique avant qu’il ne soit trop tard.

 

Propos recueillis par Yasmine Briki

 

* CNNum (Conseil National du Numérique)

* ANSSI (Agence Nationale de Sécurité des Systèmes d’Information)  

* DINSIC (Direction Interministérielle du Numérique et du système d’information et de Communication de l’Etat)

* CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés)

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