Nouvelle loi ou pas, le travail se réinventera

Anthony Hussenot, Université Paris Dauphine – PSL

Le débat actuel sur la loi travail donne à voir les peurs d’une population qui craint pour son avenir, mais occulte une profonde évolution à laquelle participe déjà la jeunesse.

La défiance à l’égard de l’entreprise

L’actualité met le travail et l’entreprise au cœur des débats de société. D’abord, le projet de loi El Khomri fait redouter une possibilité pour l’employeur de proposer des conditions de travail moins favorables à ses salariés que celles prévues par la loi. Ensuite, l’émoi suscité par les rémunérations spectaculaires de quelques PDG pose à nouveau la question de la juste répartition des richesses créées. Enfin, le scandale des « Panama papers » fait ressurgir le problème des pratiques d’évasion fiscale de certains dirigeants en complicité avec les banques. Dans ce contexte, on peut comprendre la défiance de la jeunesse à l’égard de l’économie traditionnelle. C’est d’ailleurs un des enseignements du succès inattendu du mouvement Nuit Debout, qui permet à cette jeunesse de faire entendre sa voix.

L’envie d’entreprendre… mais hors de l’entreprise

Ainsi, n’en déplaise à ceux qui pensent que la jeunesse n’est qu’irresponsabilité et frivolité, cette génération veut prendre sa place dans la société et nous le fait savoir ! Loin des clichés, cette jeunesse réfléchit et entreprend. En revanche, il semble qu’il ne faille pas compter sur elle pour rejoindre massivement le modèle de l’entreprise classique. Une étude publiée en 2015 par la BNP Paribas et The Boson Project a ainsi montré que les 15-20 ans se montrent très critiques à l’égard de l’entreprise. Cependant, ils sont 47 % à avoir envie d’entreprendre. Pour cette génération, le salariat n’apparaît donc plus comme la voie royale d’accès à la vie active. Elle s’enthousiasme davantage pour le travail en free-lance, les startups ou l’entrepreneuriat social.

D’ailleurs, ils sont 31,5 % à estimer que la débrouillardise est essentielle pour réussir dans la vie, tandis que 40 % d’entre eux font de leur réseau et leur connexion au monde un atout professionnel essentiel, loin devant les diplômes. C’est donc une conception bien différente du travail que le débat actuel occulte. Dans une société rongée par le chômage et les scandales, cette jeune génération qui est diplômée, à l’aise avec la mondialisation et connectée ne semble plus accorder beaucoup de crédit à l’entreprise.

Tiers lieux.
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Travailler autrement

Il faut dire qu’il y a d’ores et déjà de nombreuses sources d’inspiration pour repenser le travail. Il suffit de se rendre dans un tiers-lieux, un espace de coworking ou un makerspace, pour entrevoir le travail de demain. Les résidents de ces lieux préfèrent souvent leur statut d’indépendant à un contrat de travail. Cela devrait nous interpeller. Car s’il y a une chose que l’on ne peut pas reprocher à ces nouveaux indépendants, c’est de vouloir travailler moins ou éviter les responsabilités.

makerspace.

En fait, leur motivation n’est pas celle du temps de travail ou de la rémunération, mais davantage celle du sens au travail et de l’épanouissement personnel. Certes, de nombreuses personnes font le choix du travail en free-lance après avoir tenté en vain de trouver un poste dans une entreprise. Mais il y a également celles et ceux qui font le choix de travailler plus pour une rémunération souvent moindre en échange d’une vie professionnelle pleinement choisie. On les appelle alors les digital nomads, co-workers, slashers ou makers. Ils préfèrent travailler dans des tiers-lieux et à leur domicile plutôt que dans des open spaces. Leur activité leur permet d’être mobiles plutôt que d’être contraint de passer leur semaine dans le même bureau ; tandis que leur liberté leur offre la possibilité de collaborer sur des projets toujours nouveaux avec des personnes d’horizons divers.

La mise en cause du management

De ces activités nouvelles, émergent des pratiques de collaboration et d’organisation qui bousculent les canons du management. Certains dirigeants et managers des grandes entreprises ont d’ailleurs pris conscience de cette évolution. Ils redoublent donc d’efforts pour « créer du sens » en partageant une vision et un défi communs. On ne compte ainsi plus le nombre d’entreprises qui se découvrent une passion tardive pour sauver le monde, via des projets de RSE (Responsabilité Sociétale de l’Entreprise) par exemple.

Les fondateurs de BlaBlaCar.

Pourtant, le constat est souvent sans appel. Les activités en free-lance ou dans les startups confèrent un sentiment de maîtrise de sa vie professionnelle difficilement comparable avec la vie d’un jeune salarié dans une grande entreprise. Dirigeants, managers et syndicats sont donc souvent à la peine pour proposer des conditions de travail qui satisfassent la jeune génération. Cela demanderait d’ailleurs de repenser la relation aux salariés et donc son rôle en tant que dirigeant ou manager. Combien sont prêts à abandonner leurs attributs de managers si durement acquis ? La problématique n’est donc pas simple car c’est l’utilité même des managers qui est questionnée. Il n’y a pas de réponse unique au défi qui attend les entreprises ; cependant, certaines d’entre elles – à l’instar de Blablacar, classée « meilleure entreprise où travailler » de sa catégorie en 2015- semblent avoir trouvé une réponse partielle.

D’ailleurs, celles et ceux qui font aujourd’hui le choix du travail en free-lance seront peut-être confrontés demain aux mêmes questions. S’ils refusent aujourd’hui toute relation de subordination, ils seront dans un avenir proche dans la situation de ceux qu’ils fuient aujourd’hui ; c’est-à-dire être manager. Ils se rappelleront peut-être alors de leur début et se diront : pourquoi refuser à mes collaborateurs la liberté et l’autonomie que je me suis autrefois octroyées ?

The Conversation

Anthony Hussenot, Maitre de conférences en théories des organisations et management, Université Paris Dauphine – PSL

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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